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Bureau des Guides Équestres Trans Pyrénéens

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"Les Pyrénées Sans Frontières" vues en 1908

Géographie du Golfe du Lion au Béarn 
(par Paul Vidal de la Blache, in "Tableau de la géographie de la France")

Carte des Pyrénées Romaines

La plaine et les passages du Languedoc. 

A voir le golfe du Lion dessiner à partir du Rhône une courbe si régulière, on serait tenté de croire que les accidents si nombreux, dont nous avons déroulé la série entre les Alpes et le Massif Central, s' éteignent, et que l' action paresseuse des alluvions et des flèches de sable, se substituant aux forces de plissement, a seule présidé à la formation de la plaine languedocienne. Il n' en est rien cependant ; et il suffit de jeter les yeux sur les reliefs courts et heurtées qui çà et là font saillie pour être ramené à la perception réelle des faits. La pyramide hardie de Saint Loup se dresse au nord de Montpellier ; Sète a sa montagne isolée, qui s' étale, comme une baleine échouée, sur le rivage. Les pointements de calcaire jurassique amorcés par le roc de Notre Dame de la Garde au littoral marseillais reparaissent ici sur la côte languedocienne. 
Plus loin, un pilier de basalte, jalon extrême d' une série de pointements volcaniques, forme le cap d' Agde. 
Entre Narbonne et la mer s' interposent les roches grises de la Clape, petit massif isolé dont l' altitude n' atteint pas 200 mètres, mais qui par sa structure s' accuse comme un fragment détaché d' une des zones pyrénéennes. Vers les confins du Languedoc et du Roussillon, le noyau primaire des Corbières a joué le rôle de massif résistant devant lequel ont dévié les plissements tertiaires. 

Et les accidents qui ont été la conséquence de ce conflit trouvent l' expression la plus frappante dans la silhouette du pic de Bugarach, qui scande étrangement les chaînons rectilignes du bord méridional des Corbières. Les couches y sont renversées en sens contraire de l' ordre normal de superposition ; et ce phénomène, dont les exemples sont nombreux en Provence, s' exprime ici topographiquement par des surprises semblables. Des cimes d' apparence alpine surmontent brusquement des reliefs d' allure continue et d' altitude médiocre, et trahissent, au milieu de régions d' apparence peu bouleversée, une intensité inattendue des phénomènes de plissement. Ces signes nous guident à travers des apparences contraires. La plate-forme que recouvre, sous le nom de golfe du Lion, une transgression marine de faible profondeur, n' interrompt pas en réalité les relations de structure entre les chaînes provençales et pyrénéennes. Le Bas-Languedoc est taillé sur le même plan que la Basse-Provence. Son histoire géologique rentre en partie dans celle de la vallée du Rhône. Le lit des fleuves actuels, Vidourle, Hérault, Orb, a été, comme dans la vallée du Rhône, entaillé par ravinement dans les molasses miocènes. Ces vallées, par une nouvelle analogie, furent envahies par la mer pliocène. Enfin d' énormes entraînements de cailloux roulés ont également marqué la fin de l' ère pliocène et le début de l' ère actuelle. Ces vicissitudes géologiques se lisent dans la nature et l' aspect des terrains. Tandis que les plateaux calcaires d' âge jurassique n' offrent que surfaces désertes où règne la garrigue , c'est aux calcaires marins d' âge miocène que le pays doit les pierres tendres et durcissant à l' air, qui égaient de leurs ciselures les façades de Montpellier ; c' est aux marnes du même âge que sont dues les terres fortes où croissent les meilleurs vignobles. Sur la coustière , talus bordier des anciennes terrasses fluviatiles, se rangent, au milieu des vignes, les anciennes villes. Jadis le Languedoc avait aussi ces découpures de littoral qu' il envie aujourd' hui à la Provence. Mais les rivages se comblent. Si le Languedoc a conservé quelque chose des vives saillies de relief de la Provence, il a perdu les articulations côtières qui achèveraient la ressemblance. Le travail de la mer et des eaux intérieures est en train de régulariser les profils, d' éteindre les lagunes, d' allonger des flèches de sable. Les îlots montagneux ont été englobés par les progrès des rivages. Cependant on peut encore se représenter sans trop d' efforts l' aspect que ces côtes durent offrir aux phéniciens et aux grecs. 

Ce n' est que depuis le XIVe siècle que Narbonne a cessé d' être un port. L' activité des pêcheries autour de Sète et dans les étangs de Thau et de Sigean est une survivance de l' ancienne vie littorale. Parmi les causes précoces de groupement des hommes, il faut compter l' abondance et les facilités de nourriture fournies par ces réservoirs naturels de poissons et " fruits " de la mer. Le littoral italien, depuis Tarente jusqu' à Aquilée, abonde en exemples de cette vie de pêche persistant à travers les siècles dans les étangs ou lagunes. Ce fut une vie semblable qui se développa sur la lisière de lagunes qui borde depuis le Rhône jusqu' aux Pyrénées le golfe du lion. Bien que diminuée, elle s' est maintenue, quand tout changeait autour d' elle. Le contact de la Méditerranée ne suffit pas cependant pour expliquer le rôle de la cité archiépiscopale de Narbonne. Des rapports terrestres s' y croisent : les uns viennent des Pyrénées, presque effacées au Pertus, et traversent, pour déboucher en Languedoc, l' étroit passage entre les Corbières et la mer, sorte de Thermopyles sur lesquelles veillait le château de Salses. Les autres viennent de la Garonne et de l' Aquitaine, et ceux-ci l' emportent dans l' économie générale de notre pays. Par cette voie, en effet, Narbonne tient une des extrémités de ce que Strabon appelait l' isthme gaulois. 

Lorsqu' on a traversé les plaines basses parsemées de restes d' étangs, et couvertes aujourd' hui de vignes, qui s' étendent à l' ouest de Narbonne, on rencontre dans le défilé compris entre les cimes grises et nues du mont Alaric et les collines du Minervois, la véritable limite de la zone méditerranéenne. La structure change dès lors, comme le climat et la végétation. Au nord, la Montagne Noire déroule lourdement des croupes de schistes et de gneiss, aux flancs convexes qu' entaillent quelques ravins boisés ; tandis qu' au sud s' allonge une rangée de mamelons d'argile ou de grès, dépouilles arrachées aux Pyrénées qui dressent en dernier plan leurs silhouettes aériennes. Ce cadre enferme une longue plaine, dans laquelle il est aisé de reconnaître un type analogue aux dépressions que nous avons constatées entre les Alpes et les Cévennes : c' est un sillon produit au contact d' une zone de plissement et d' un massif de résistance. L' Aude, qui le rencontre à Carcassonne, s' y infléchit brusquement vers l' est. Il continue à être borné au nord par le rideau de la Montagne- Noire jusqu' à Castelnaudary. Mais là les croupes qui depuis une soixantaine de kilomètres accompagnaient la vue, s' effacent ; et latéralement une sorte de trouée s' ouvre à Saint Félix vers le pays albigeois. L' aspect découvert de la topographie, et surtout l' existence d' une série de buttes de calcaires et de poudingues aux nettes découpures : tout dénonce une action puissante des eaux. L' origine ne peut en être attribuée qu' au massif primaire de la Montagne Noire, à l' époque du réveil orogénique qui vint raviver son relief, c' est-à-dire à l' époque tertiaire. Mais on chercherait vainement, parmi ces traces incontestables de dénudation, une rivière digne de l' oeuvre torrentielle qu' indique le sol. 

L' aspect actuel de l' hydrographie est déconcertant. Il semble qu' il y ait eu une période pendant laquelle les eaux aient hésité sur la direction à suivre : il existe, en effet, à l' est et à l' ouest de Castelnaudary des vestiges d' étangs, des nappes de sable et des graviers presque à fleur de sol, indiquant une ancienne stagnation. Toutefois le versant oriental a fini par l' emporter. L' influence du niveau de base de la Méditerranée si voisine a probablement reculé peu à peu jusqu' au point actuel la ligne de séparation des eaux. C'est au pied de blocs de poudingues connus depuis longtemps sous le nom de pierres de Naurouze que se trouve aujourd'hui, par 190 mètres d' altitude, le bief de partage où Riquet fit aboutir la rigole dans laquelle il avait recueilli les eaux de la Montagne Noire. Rien dans le relief ne signale un changement ; il reste encore un intervalle de 800 mètres entre les coteaux qui se font face. Au nord, un plateau de molasse ne tarde pas à se substituer aux collines de calcaires, et le couloir, un moment interrompu, se reconstitue jusqu' à Toulouse. 

Ce couloir où voie romaine et route royale, canal et chemin de fer se pressent, fut un passage de peuples. Sans doute entre le Bas-Languedoc et les campagnes du toulousain et de l' albigeois, les rapports n' ont pas été strictement concentrés dans ce passage. Par Saint-Pons, Bédarieux, Le Vigan, il y eut toujours des relations fondées sur la nécessité des échanges entre la montagne et la plaine. Ces rapports menus et de détail, issus de contrastes rapprochés, jouent dans la vie du midi un rôle dont il faut tenir grand compte. Mais de Narbonne à Toulouse se déroule la grande voie historique, foulée par les gaulois tectosages, les romains, les wisigoths, les arabes, les croisés de Simon De Montfort, les anglais du prince Noir, et ceux de 1814. Beaucoup de bourgs ou petites villes, jadis fortifiées, se distinguent de loin sur les premières croupes de la Montagne Noire, sur les coteaux de Saint Félix, et sur les mamelons qui bordent la plaine. Ce sont les témoins des temps de luttes, les survivants d' une vie qui s' éteint et dont les foyers se déplacent.

Le midi pyrénéen. Chapitre premier. Les Pyrénées. 

Ces cimes pyrénéennes dentelées qui, de Carcassonne à Orthez, bornent par un temps clair l' horizon, semblent de loin la plus continue des barrières. Mais si l' on pénètre entre leurs replis, ce qui paraissait un mur se décompose en une série de zones se succédant en disposition longitudinale. Entre le Canigou, nourricier de la vega roussillonnaise, et le pic du Midi d' Ossau, dernière apparition des granits vers l' ouest, se déroule tout un monde de chaînes calcaires et marmoréennes, interrompues ou suivies de bandes schisteuses et granitiques ; puis de nouveau les sierras calcaires recommencent, elles s' étendent en larges plateaux éventrés de canons ; et enfin, bien au delà vers le sud, d' autres sierras traversées en brèche par des rivières marquent vers la plaine de l' Ebre la fin des Pyrénées. (!)C' est un espace de 140 kilomètres au moins, dans la partie centrale, que couvrent les Pyrénées ; et de cet ensemble le versant français ne représente guère plus d' un tiers (!). A l' extrémité orientale seulement, la France pénètre plus avant, et là jusqu' au coeur même du monde pyrénéen. 

La grande zone granitique, ou zone centrale, qui s' étend depuis le massif de Carlitte  jusqu' à la Méditerranée, s' encadre entre nos vallées roussillonnaises. Brusquement tranchées par les effondrements qui ont étalé à leur base une plaine basse, les Pyrénées, qui viennent de culminer au Canigou, expirent en pleine force. 

Entre les deux régions que les fractures ont fait tomber en profondeur, le Roussillon et l'Ampurdan espagnol, la barrière se réduit au mince écran des Albères. Encore même, comme il arrive souvent dans les parties pareillement disloquées de la Grèce orientale, la continuité des chaînes est-elle atteinte. La route du Perthus franchit la frontière par 290 mètres d' altitude seulement. Cependant il suffit de quelques heures, en remontant l' étroite et ébouleuse vallée par laquelle la Tet s' insinue au coeur de la chaîne, pour atteindre, à Montlouis, un de ces grands plateaux granitiques qui sont particuliers à la partie orientale et centrale des Pyrénées. C' est comme un socle large et élevé, sur lequel à droite et à gauche, se dressent des montagnes le surmontant d' un millier de mètres. Les glaciers n' y sont plus, mais aux échancrures demi-circulaires qui entaillent les cimes, à la multiplicité des vasques, des étangs, des petits lacs, leur ancienne présence se décèle. Ils ont sur le plateau granitique accumulé des moraines et entraîné des alluvions qui le recouvrent en partie et en amendent la stérilité. Sur ces dépôts meubles se sont établies des cultures, dont à défaut d' autres preuves on devinerait l' ancienneté à voir combien la forêt a presque partout disparu de ces hauteurs. D' étroites et sombres bandes de pins de montagne marquent çà et là sur les pentes les places qu' elle a pu encore conserver. 

Des bourgs formés de plusieurs hameaux, quelques-uns avec de vieilles fortifications, une ville, Puigcerda, bâtie sur une moraine dont le Sègre rase le pied, indiquent l' existence d' une sorte d' autonomie cantonale dont la frontière politique n' a pas tout à fait éliminé les traces. Et de fait, lorsque les plaines de l' Ampurdan et du Roussillon étaient désolées par les invasions arabes, lorsque pendant plus de deux siècles elles servaient de champ de bataille aux francs et aux infidèles, la Cerdagne échappait aux dévastations. La population de la plaine, au moment de la reconquête, fut entièrement renouvelée ; là-haut était un refuge où elle subsista avec ses usages, ses institutions, ses relations propres. De ces antiques usages tout ne s' est pas conservé. Rares sont les cantons qui, comme l' Andorre, ont pu par hasard garder une autonomie politique. Toutefois les différences entre Cerdagne et Roussillon, montagne et plaine, restent assez marquées pour faire saisir le contraste qu' une différence d' altitude d' un peu plus d' un millier de mètres peut introduire entre les destinées historiques de pays voisins. Ces cantons montagneux se groupent surtout dans la zone où les hautes vallées confinent aux pâturages. 

Vers les sources de la Garonne, du Gave de Pau comme de l' Aude et de l' Ariège, s' étendent de larges espaces où moutons et bergers se rendent en été : pasquiers, pla, calms , estiba, noms dont la diversité même atteste la place qu' ils tiennent dans l' existence montagnarde. 

(!)Les pâturages du Carlitte, où des milliers de moutons venaient chaque année, au xviiie siècle, de la vallée du Sègre, confinent à la Cerdagne et au Capcir ; ceux du Pla De Béret au val d' Aran ; les estives voisines du Mont-Perdu communiquent avec le groupe des vallées de Barèges. (!)Des fêtes y réunissent à certaines dates les montagnards autour de quelque chapelle. Pour exploiter ces pâtis communaux il a fallu s' entendre, former entre les cantons limitrophes qui donnent accès à ces hauts lieux, des associations ou jurandes. Pour cela, la distinction entre versants n' a guère d' utilité pratique, car les pâturages s' étalent indifféremment des deux côtés. On ne sait à quelle date remontent ces traités de lies et passeries , qui étaient pratiqués au xvie siècle entre nos vallées ariégeoises et le val d' Aran espagnol, et ailleurs encore. 
(!)C' étaient des conventions réputées valables même en temps de guerre, destinées à assurer la pratique régulière de l' économie montagnarde. Que parfois ces montagnards séparés entre Espagne et France, mais unis par des intérêts communs, s' entendissent entre eux, plus qu' avec les gens de la plaine, c' est une accusation souvent répétée dans les anciens écrits locaux : faut-il s' en étonner ? 

Dans les Pyrénées comme dans les Alpes, les nécessités de la vie pastorale protestent souvent contre les séparations factices introduites par la politique s' inspirant d' une fausse géographie. De ces hautes parties de la montagne, les rivières, surtout celles du versant septentrional, se précipitent par une série alternante de gorges et de bassins. Les ravins boisés par lesquels l' Aude descend du Capcir étaient naguère infranchissables. Les lacs étagés de la vallée d' Oo, la " rue d' enfer " de la vallée du Lys, les ravins entre Gavarnie et Gèdre, disent quelle est la raideur du versant français. L' humidité croissante du climat vers l' ouest, la proximité de la plaine, la fréquence d' intercalations de roches diverses, tout conspire pour exagérer l' irrégularité du profil suivi par les rivières. 

(!)Mais ce n' était pas par les défilés sauvages où nos routes modernes ont eu tant de peine à se frayer passage, que ces pays communiquaient entre eux : c' était par les moyens traditionnels des pays de montagnes, par les sentiers qui suivent les hauteurs et que continuent à fréquenter le muletier ou le pâtre d' Aragon et de Navarre. Ces sentiers jouent dans la montagne un rôle plus grand qu' on ne pense ; car nos habitudes de plaines nous rendent trop dédaigneux de ce réseau créé par les montagnards à leur propre usage. 

Les ports ou passages sont nombreux, même dans la partie centrale. Il n' y en a pas moins d' une (!)vingtaine entre le Couserans / vallée du Salat / et les hautes vallées aragonaises. Par ces voies la vie circule au plus épais de la montagne. Elle déborde même au dehors, car c' est par là qu' aux saisons propices les éleveurs atteignent les foires et marchés situés au contact de la plaine. Mais les relations les plus naturelles et les plus fréquentes sont entre hautes vallées sans distinction de versants. Le Capcir , voisin des sources de l' Aude, a des relations avec la Cerdagne aux sources du Sègre, plus qu' avec le cours inférieur de l' Aude. Celles de Gavarnie avec les hautes vallées aragonaises, quoique moins actives qu' autrefois, entretiennent encore un va-et-vient.

La façade, sillonnée de vallées profondes, que les Pyrénées tournent vers la France, descend en 30  ou 40 kilomètres au niveau de la plaine. à Foix / 454 m /, à Tarbes / 312 m / , à Pau / 2 07 m /, la plaine entre en communication directe avec la montagne ; elle devient un piémont au sens propre du mot. Généralement c' est par une muraille raide, de roche calcaire et marmoréenne, que s' annonce le bord de la chaîne. 

Les rivières la franchissent par des brèches. Cette ligne de contact entre la montagne et la plaine a été de bonne heure remarquée et recherchée par les hommes. Les traces de populations préhistoriques y sont nombreuses. à Bédeillac, près de Tarascon -Sur-Ariège, au Mas d' Azil, à Izeste à l' entrée de la vallée d' Ossau, des cavernes gardent les traces de la présence et de l' activité de l' homme. Cette même lisière de la montagne est devenue une ligne urbaine. Des villes s' y sont établies pour opérer les transactions et pour tenir la clef des passages. Comme au pied des Alpes, la possession des principales avenues transversales fut le pivot de la puissance politique. 

Le comté de Barcelone dut sa force à la possession des passages à travers les Pyrénées orientales. Le comté de Foix dominait, par le col de Puymorens, les sentiers par lesquels on se rendait au célèbre sanctuaire que signalent de loin ses roches rouges bizarrement découpées, Montsarrat de Catalogne. Au point où la vieille route romaine venue d' Espagne par le Somport rencontrait la première grande vallée, s' établit l' antique beneharnum , Lescar, noyau du Béarn. Le royaume de Navarre grandit enfin des deux côtés du passage de Roncevaux, voie longtemps suivie à l' exclusion de toute autre par les pèlerins allant à Saint-Jacques de Compostelle. De petits états pyrénéens naquirent, grandirent, disparurent. Il ne s' agit pas de ces cantons montagneux dont l' autonomie, quand par hasard elle subsiste, semble un oubli de l' histoire ; mais de véritables états politiques fondés sur une combinaison de la montagne et de la plaine. Parmi eux, celui qui a réalisé le plus pleinement son rôle historique, est le Béarn. On ne saurait imaginer de berceau plus propice que ce bassin du Gave où se sont succédé comme centres politiques Nay, Lescar, Morlaas, Pau. 

L' intensité des cultures, le rapprochement des villages, ce mélange sous un ciel gai et varié de champs de maïs, d' îles de peupliers, de prairies et d' eaux courantes, compose un tableau séduisant, dont le cadre est fermé au sud par les chaînes neigeuses. Au nord s' étendent les landes de Pontlong, pâtures d' hiver pour les montagnards des vallées d' Aspe et d' Ossau. Ainsi se scella naturellement, au point de passage, l' association de la montagne et de la plaine. Il fallut toutefois encore, pour que l' état fût solidement constitué, qu' il eût mis la main sur la partie de la vallée du Gave où réapparaissent les roches calcaires, propres à édifier châteaux et villes fortes. Ce point, marqué par Orthez, assure la domination des confluents. Ainsi se compléta le petit état féodal et guerrier, qui ne perdit pas sans regret, avec Henri Iv, son autonomie dans l' unité française. Nul n' avait mieux réussi à incarner, du moins un instant, cette brillante civilisation du midi pyrénéen, perle échappée au naufrage où sombra, dès le xiiie siècle, la civilisation du reste du midi.

La plaine subpyrénéenne. 

La plaine où se déroule la Garonne, entre les Pyrénées et le Massif Central, est plus ouverte, plus ample, taillée à plus grands traits que celles qu' étreignent les Alpes et les Cévennes. Cette région est bien aussi une dépression définie, d' un côté, par une zone de plissements récents, de l' autre, par la bordure d' un ancien massif. Mais un tel écartement s' introduit entre les deux lignes qui l' encadrent, qu' il en résulte un type de contrée fort différent de la vallée du Rhône. Sous le méridien de Carcassonne, il n' y avait guère que 50 kilomètres de distance entre les avant-chaînes pyrénéennes et la Montagne- Noire : la distance est près de cinq fois plus grande sous le méridien de Toulouse, entre les Petites Pyrénées et les sombres lignes qui, au nord de Brive, annoncent le Massif Central. L' intervalle ne fait encore que s' accroître vers l' ouest. Dans l' espace que circonscrivent les Pyrénées et les zones jurassiques et crétacées du flanc méridional du massif, il y a eu place pour de vastes nappes lacustres qui s' y sont étendues pendant la période miocène. Lorsque du haut des coteaux de Moissac on embrasse le grand horizon de plaine où la Garonne et le Tarn mêlent leurs eaux, l' oeil est attiré au sud par la rangée uniforme et sombre des coteaux de la Lomagne. C' est la tranche des plateaux d' argile et de molasse qu' ont laissés après eux ces lacs. Ils s' étendent à l' est comme à l' ouest du fleuve ; et c' est à leurs dépens qu' ont été découpées d' immenses plaines d' alluvions. Les débris des Pyrénées et du Massif Central se rencontrent dans ces plaines, comme s' y sont rencontrées les races : les Ibères aux affinités espagnoles et africaines, avec les populations dites celtiques, depuis longtemps en possession du Massif Central. La quantité d' alluvions arrachées aux Pyrénées est énorme. Ces amas détritiques s' amoncellent au débouché des principales vallées pyrénéennes en une série de plateaux. Souvent, à leur entrée en plaine, les rivières ont changé de place. Les eaux torrentielles, issues des glaciers d' autrefois, ont vagabondé avant de se fixer dans leur lit actuel. Le phénomène, fréquent au pied des Alpes, de vallées qui, ayant perdu leur rivière, sont devenues des vallées sèches, se présente nettement entre Lourdes et Tarbes. D' énormes entailles ont été pratiquées par ces torrents dans le plateau de molasse qui constitue le sol de la plaine. 

L' Ariège à Pamiers, la Garonne à Muret, l' Adour à Tarbes couvrent de larges espaces sous leurs alluvions. On voit par les terrasses de galets et de graviers qui s' étagent au-dessus du niveau actuel de la vallée, le résultat de déplacements et creusements successifs, comme si on assistait aux spasmes de l' action torrentielle d' autrefois. Ailleurs d' immenses dépôts de cailloux roulés, de sables et de limons occupent le milieu des vallées, séparant et rejetant sur les bords latéraux les rivières qui les sillonnent. L' Ariège et l' Hers, dans la plaine de Pamiers, maintiennent ainsi pendant longtemps leur cours à distance. Dans la vaste plaine que surmonte Montauban, un énorme amas de ce genre tient séparés pendant 3 o kilomètres la Garonne et le Tarn. Des bois, surtout entre Montauban et Moissac, s' étendent sur ces graviers. De brusques inondations rappellent de temps en temps les débâcles qui ont laissé ces traces. Il suffit de quelques heures, comme il est arrivé le 23 juin 1875, pour qu' un flot furieux arrive des Pyrénées à Toulouse, et de cinq jours pour que le même fleuve, après avoir monté de 9 mètres, revienne à son ancien niveau. Mal fixée dans l' encadrement de mamelons argileux qui la bordent, la Garonne a largement rongé ces terrains mous. Ce n' est que dans l' Agenais , quand elle rencontre la masse plus résistante des calcaires dont les blanches corniches surmontent les coteaux, que sa vallée , sans cesser d' être ample, se réduit à des dimensions moins démesurées. 

L' homme ne s' avance que timidement jusqu' aux bords de telles rivières. La partie basse de la vallée n' est peuplée que de maisonnettes en pisé et en briques, auxquelles un double cordon de cailloux roulés forme une sorte de ceinture. Les bourgs , les anciens villages, les villes sont établis sur les terrasses anciennes, ou au pied des coteaux marneux, attirés comme d' habitude par le contact de sols différents. Un promontoire découpé dans le plateau argileux a prêté à Montauban ses qualités défensives. Toulouse s' est appuyée à une rampe de collines, lambeau épargné par hasard dans les déblaiements du fleuve. Le pays a sa livrée, fournie par les matériaux auxquels il est réduit. Les cailloux roulés hérissent le sol des rues. La brique règne dans les constructions. Elle s' élève à la dignité monumentale dans les tours des capitouls, les cloîtres, les anciens hôtels, les églises de Toulouse ou la cathédrale d' Albi. Mais Toulouse, malgré sa position sur un fleuve, est une ville toute terrienne, régnant sur une grande région agricole. Le travail des eaux, dont nous venons de parler, a été facilité par la consistance relativement molle du substratum qu' elles ont entamé . C' est un dépôt de marnes et de molasses / d' âge miocène /, d' origine lacustre ou fluviatile, qui occupe toute la partie centrale du bassin de la Garonne. Au nord comme au sud du fleuve , on voit, dès que le Tarn, le Lot, la Dordogne entrent dans cette formation, leurs vallées s' élargir. Le Haut-Armagnac, la Lomagne, le Lauragais, le Bas-Quercy sont constitués par les lobes allongés que dessinent ces plateaux dans l' intervalle des rivières. Le relief engendré par l' érosion dans ce sol marneux est un mamelonnement dont les contours mous et arrondis se succèdent sur un plan très légèrement incliné. Dans les parties déprimées, s' enfoncent entre des rangées de saules des ruisseaux à l' eau louche, moins semblables à des rivières qu' à des fossés agricoles. Le sol, imperméable, est avare de sources ; mais les pluies n' étant pas rares, des mares verdâtres sont l' accompagnement ordinaire des métairies ou bordes . C' est par excellence le vieux sol nourricier de la contrée. Les marnes ont par leur désagrégation formé ce qu' on appelle des terres fortes , terres à blé qui depuis plus de deux mille ans ne cessent pas de porter des moissons. Les champs dominent dans la physionomie ; ils occupent les croupes, descendent les pentes, parfois interrompus par de petits bois en taillis. Les arbres, surtout sous la forme bizarre de chênes étêtés, se montrent çà et là, mais tout est subordonné au champ qui, suivant les saisons, se dore de moissons de blé, fait scintiller les tiges de maïs, ou s' éteint dans la poudreuse rousseur des chaumes. La fertilité agricole se traduit ici tout autrement que sur les plaines limoneuses du nord. Des lopins de bois, des parcelles de vigne, un bout de pré, des arbres fruitiers diversifient le paysage. Tout est plus varié, mais à plus petite échelle. L' aisance d' un terroir fertile sur lequel un climat heureux permet de recueillir des produits très divers dans un petit espace, réunit autour de chaque borde un peu de tout ce qui est nécessaire à l' existence rurale. Ces bordes, situées de préférence au sommet des croupes, se disséminent à trois ou quatre cents mètres les unes des autres, sur tout le pays. La volaille et les porcs s' ébattent à leurs environs. Nulle part on ne voit entre elles ces espaces vides qui sur les plateaux agricoles du nord s' interposent entre les groupes ; mais les constructions sont le plus souvent mesquines et chétives. En général, les gros villages sont rares.

Rares aussi les châteaux. C' est la métairie qui est le type fondamental de peuplement du pays, celui qui répond le mieux aux conditions d' existence. Cette dissémination de vie rurale s' est manifestée et maintenue surtout dans les parties de la région où les marnes et argiles, plutôt que les calcaires, constituent le sol. Sous les pluies de l' hiver et du printemps, ces terres fortes donnent lieu à des sentiers boueux aux ornières profondes. Longtemps la circulation y a été difficile. 

Il faut l' effort vigoureux des grands boeufs gascons pour venir à bout des charrois et des labours. Aussi chacun de ces petits domaines ruraux, mal pourvu de communications, aspirait à se suffire à lui -même. Telle est encore l' impression que donnent certaines régions du plateau, restées plus longtemps à l' écart des belles routes modernes : le Haut Armagnac, par exemple, ou sur les confins du Béarn, la Chalosse , avec ses tertres, ses fossés et ses haies d' arbres, derrière lesquels chaque métairie semble se retrancher. 

La différence d' habitudes et de genre de vie est profonde entre le pyrénéen et le paysan de la plaine. Chez le premier l'agriculture est restée à demi pastorale. Il conserve autour de ses champs de grands espaces d' ajoncs et de fougères, - ce qu' on appelle des touyas en Béarn, - qui servent de pâture aux moutons. Il continue à pratiquer la transhumance à grande distance ; on voit encore des troupeaux de moutons, partis des hautes régions de la montagne, s' avancer jusqu' aux landes qui sont au nord de Pau. L' homme des vallées pyrénéennes est surtout un pasteur ; tel chez lui, tel " aux Amériques " , quand il y émigre. On pense volontiers, en voyant la pauvreté de ses instruments de culture, à la belle indignation qu' exprime Bernard Palissy. Aux travaux de labourage le pyrénéen préfère la vie de déplacement, que lui font ses troupeaux, ses foires, ses changements périodiques. C' est au contraire une âme de laboureur qui s' est formée chez les paysans des terres fortes de la plaine. Mais la vie rurale s' est développée beaucoup mieux que la vie urbaine. Celle-ci, malgré le renfort artificiel qu' elle reçut au moyen âge des fondations de bastides, est restée subordonnée. La plupart des villes, dans ce pays d' abondance et de vie facile, tirent leur existence du milieu immédiat. Elles sont les marchés agricoles, et les centres de transactions où se débattent, avec l' aide des hommes de loi qui pullulent, les intérêts ou les griefs des habitants d' alentour.

(! = N.D.L.R)

Voir aussi Le Seuil de Naurouze

Voir aussi Lies et Passeries

L'intégral de l'ouvrage de Paul Vidal de la Blache est en ligne sur le site de la Bibliothèque National de France

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