Les Pyrénées sans Frontières et le Bureau des Guides Équestres Transpyrénéens, vous présentent
L'EFFET DE SERRE
Randonnées et écotourisme équestre dans les Pyrénées
Nouveau ! Disponible aussi : Ciel visible en temps réel, éphémérides et planétarium en ligne pour les Pyrénées
(Article de Mr Decker)
La Terre se réchauffe
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1. Les mises en garde des scientifiques
Les savants en sont désormais convaincus : le climat change ; les températures
augmenteront plus vite en cent ans que lors des dix mille dernières années.
Des modifications qui peuvent rendre plus vulnérable l'espèce humaine. Jusqu'où
les équilibres fondamentaux de la planète vont-ils résister ? Jusqu'à quel
point l'homme sera-t-il capable de s'adapter ?
Le professeur Paul Crutzen a la pose et le propos modestes. Ce Prix Nobel de
chimie avoue que c'est par hasard, alors qu'il travaillait dans les années 60
comme informaticien à l'Institut météorologique de Stockholm, qu'il a été
amené à faire une des grandes découvertes du siècle. Contrairement à ce que
toute la communauté scientifique croit à l'époque, il établit que la couche
d'ozone qui, là-haut, protège les hommes et les plantes des ultraviolets
meurtriers du Soleil ne se renforce pas, mais qu'elle s'amincit dangereusement
sous l'action des molécules chimiques en provenance de l'activité
industrielle. Le désormais célèbre " trou dans la couche d'ozone "
est démasqué, mais la nouvelle, en 1970, est tellement stupéfiante que Paul
Crutzen garde sa découverte pour lui : " Je n'étais pas chimiste et je me
disais que je devais m'être trompé. Il y avait tant de chimistes dans le
monde... "
Deux ans plus tard - consacrés à des études chimiques à Oxford -, il
publie ses travaux. Au même moment, les professeurs Sherwood Rowland et Mario
Molina aboutissent à des résultats identiques. Ils obtiendront le Nobel
ensemble. L'humanité a échappé au risque majeur que faisait peser sur elle
ces molécules invisibles et inodores (chlorofluocarbones et oxydes d'azote) présentes
dans les aérosols et toute la chaîne du froid. Malgré le baroud d'honneur de
quelques bataillons scientifiques repliés dans la tranchée du scepticisme et
les cris de désespoir de la plupart des milieux industriels, la communauté
internationale réagit promptement. Un protocole international d'arrêt des gaz
tueurs d'ozone est signé en 1987 à Montréal. La couche d'ozone est - en
principe - sauvée. Les cancers de la peau ne se multiplieront pas. Et
l'industrie chimique ne s'est pas effondrée.
" Nous avons eu de la chance, commente Paul Crutzen. Il était très
facile d'interdire ces gaz et de les remplacer. " Des substituts moins
nocifs ont, en effet, été rapidement mis en oeuvre. Mais, aujourd'hui, dans
son bureau de l'Institut Max-Plank de Mayence (la Mecque de la recherche
allemande), Paul Creutzen est inquiet. Son inquiétude a un nom : réchauffement
climatique. D'autres gaz - le gaz carbonique (CO) et le méthane (CH)
principalement -, en provenance eux aussi de l'activité humaine, ont été
identifiés comme les responsables du renforcement de la couche gazeuse qui,
comme une serre, garde dans l'atmosphère une partie de la chaleur solaire (sans
cette couche, la température de la Terre descendrait aux alentours de -18°C).
Mais trop d'épaisseur nuit, et un " effet de serre " trop accentué
serait insupportable pour le climat, dont l'équilibre organise toute la vie,
humaine, animale, végétale ou maritime.
Or, ces gaz " à effet de serre ", à la différence des tueurs
d'ozone, sont impossibles à éliminer ou à récupérer. Quant à leur
remplacement, il obligerait à une révolution énergétique et technologique
copernicienne : le solaire, l'éolien, l'hydroélectrique ou... le nucléaire,
à la place du charbon et du pétrole ! " Cette fois, dit Paul Creutzen, le
monde ne sera pas à même de réagir aussi rapidement, car les combustibles
fossiles, qui sont la force motrice du réchauffement de la planète, sont aussi
celle de l'économie mondiale. " Le charbon et le pétrole - les deux tiers
de l'énergie que les hommes utilisent à travers le monde pour produire, se déplacer
ou se chauffer - sont les principaux responsables des émissions de gaz
carbonique. Même chose pour le méthane : il provient pour l'essentiel des
nouveaux modes culturaux qui ont permis à l'agriculture d'accompagner la
croissance démographique et de doubler, en vingt ans, la production
alimentaire. Une production qui devra encore doubler d'ici une vingtaine d'années.
La question climatique conduit donc au coeur de l'activité humaine. Si
celle-ci, pour la première fois de la très longue histoire de la planète,
modifie l'équilibre climatique en l'espace d'un siècle, " un petit clin
d'oeil ", selon l'expression du Prix Nobel John Holdren, où allons-nous ?
L'humanité est, à juste titre, tétanisée par cette perspective. Les 3 %
à 4 % de carbone supplémentaire (c'est-à-dire 7 milliards de tonnes environ)
que l'homme injecte, chaque année un peu plus, dans l'air vont-ils vraiment
suffire à dérégler cette immense machine énergétique, complexe, fragile et
encore largement méconnue que constitue le couple océan-atmosphère ?
Faudra-t-il arrêter les usines, abandonner sa voiture et se mettre au régime
maigre ? " En étant réaliste, estime Paul Creutzen, je dois dire que j'ai
plus de raisons d'être pessimiste qu'optimiste. J'ai bien peur qu'aucune mesure
importante ne soit prise avant que nous n'ayons une mauvaise surprise. "
Les premiers indices de la " mauvaise surprise " sont manifestes, même
s'ils ne constituent pas encore, au sens scientifique, des " preuves
". Il s'agit plutôt d'" un faisceau de convergences ". On n'a
pas eu le temps - le phénomène n'en est qu'à ses prémisses - de vérifier la
tendance sur une longue période. Les scientifiques restent prudents. Pas
d'effet d'annonce, donc, sur l'effet de serre, surtout quand on sait que la
" variabilité " du climat est un état normal de celui-ci.
Certains ont guerroyé. Groupée en commando autour de leur gourou du
Massachusetts Institute of Technology, Richard Lindzen, un scientifique de haut
niveau dont le journal, New Scientist, estime néanmoins que " les idées
sont notoirement difficiles à appréhender ", l'école des sceptiques a,
pendant une dizaine d'années, contesté la réalité du phénomène, attribuant
sans nuance cette " lubie " aux " laissés-pour-compte de la
science ", dont certains sont ouvertement accusés d'être " manipulés
" par le vice-président des Etats-Unis, Al Gore.
Leurs arguments n'étaient pas sans valeur et reposaient en particulier sur
la rétroaction négative de la vapeur d'eau et les limites des modèles
informatiques, " tripatouillés ", selon eux. Avec le temps, le progrès
des connaissances aidant (la climatologie est une science neuve) et les
observations venant progressivement valider les modèles, ils ont peu à peu
baissé la garde, enracinant leurs doutes dans les incertitudes qui demeurent
(la réaction de l'océan, les courants marins, le comportement des nuages),
campant longtemps sur l'idée que, puisqu'on ne pouvait rien conclure définitivement,
il ne fallait surtout pas engager l'économie de nos sociétés dans des
bouleversements peut-être inutiles. Richard Lindzen considère maintenant qu'il
peut s'agir d'un " petit vacillement " dû à une moindre résistance
de la nature et concède que, bien que " petit ", ce réchauffement ne
doit pas " conduire à ne rien faire ". Un chercheur respecté comme
Michael Schlesinger, de l'université de Yale, pour qui la hausse des températures
aurait des effets bénéfiques sur la croissance des plantes et leur capacité
à absorber le CO, n'en estime pas moins que " ce serait de la folie de
rester les bras croisés ". L'école des sceptiques a encaissé un rude
coup quand on a appris que l'industrie américaine du pétrole et du charbon
finançait les travaux de certains de ses membres, comme Patrick Michaels, le
plus farouche lieutenant de Lindzen. Lequel eut cet aveu à l'adresse de ses
adversaires : " S'il n'y avait pas d'implications politiques, nous
pourrions trouver un terrain d'entente. "
" On trouvera toujours un scientifique pour demander cinquante ans de
plus ", estime, avec un brin d'humeur, le géochimiste Jean-Claude Duplessy,
dont les recherches en paléoclimatologie dans les glaces du Groenland font
autorité. Même son de cloche chez James McCarthy, de l'université Harvard :
" Dans le monde de la recherche, le point de vue des sceptiques est
marginal. " Les sites spécialisés d'Internet bruissent de débats
passionnés à propos des incertitudes sur l'ampleur du phénomène, mais on ne
rencontre plus guère de scientifiques qui remettent en cause la réalité de
celui-ci. Dans une récente livraison, Business Week en tirait la conclusion :
" Désolé, messieurs les sceptiques, les scientifiques ont trouvé le
smoking gun [l'arme et la preuve du crime]. "
Les ordinateurs et les modèles prévisionnels des climatologues ne sont
certes pas prophètes. Outils d'expertise, ils rendent cependant tous le même
verdict : le réchauffement est là, et bien là, même s'il est encore en
partie masqué par la force d'inertie du couple océan-atmosphère, qui freine
la tendance à la hausse de la courbe générale. Les gaz d'origine anthropique
(humaine) en sont responsables. Quels que soient les inter ou rétroactions qui
interviennent, compliquant ou perturbant le processus, ces émissions qui
s'accroissent conduisent au renforcement de l'effet de serre, donc au réchauffement.
" Personne n'a pu construire un modèle qui ne réponde pas à un
accroissement de CO par un réchauffement ", assène Hervé Le Teut, du
laboratoire de météorologie dynamique du CNRS. Le réchauffement progressera,
sur un siècle, à un rythme de dix à cinquante fois supérieur à celui que
l'humanité a connu en dix mille ans ; depuis que la civilisation s'est installée
dans un climat globalement stable : + 0,5 C ces dernières années, + 1 à + 5°C
supplémentaires selon les projections modélisées sur cent ans, contre + 1°C
en moyenne par millénaire depuis la fin de la dernière glaciation.
Pour Jean-Claude Duplessy, pour James Hansen, directeur de l'Institut Goddart
d'études spatiales de la NASA, pour Robert Watson, directeur du département
environnement de la Banque mondiale, pour Kevin Trenberth, du Centre national de
recherche atmosphérique des Etats-Unis, pour Thomas Karl, du Centre national
des archives climatiques américaines, pour l'écrasante majorité du monde
scientifique comme pour la masse des agronomes, forestiers ou hydrologues, la
hausse des températures est désormais " un fait incontestable ".
C'est " l'empreinte digitale " que le changement climatique a déjà
laissée.
Depuis que les relevés de température sont fiables, c'est-à-dire depuis un
siècle et demi environ, les dix plus fortes moyennes se sont concentrées ces
dernières années. Avec 15,4°C, l'année 1995 a battu tous les records. 1996
fut, selon l'Organisation météorologique mondiale (OMM), " la dix-huitième
année consécutive marquée par des anomalies positives de la température
". Tout indique que 1997 ne devrait pas être loin du maximum de 1995.
" Le coup est parti, ce n'est plus possible de faire la politique de
l'autruche ", en conclut Jean-Claude Duplessy. Désormais, il n'y a plus
deux camps caricaturaux qui s'affrontent sur un futur lointain et largement
imperceptible : les incorrigibles zélateurs du progrès d'un côté et les
agitateurs de la pensée apocalyptique de l'autre. Il y a une certitude, proche
et tangible, ainsi résumée par James Baker, de l'US National Oceanic and
Atmosphere Administration : " L'humanité a atteint le point où son impact
sur le climat est aussi significatif que celui de la nature. " Même
diagnostic de Jean Jouzel, climatologue au Commissariat à l'énergie atomique
et représentant scientifique du gouvernement français dans les recherches menées
par le Groupement intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) mis en
place par les Nations unies : " Nous sommes confrontés à un problème sérieux
qui va au-delà du principe de précaution. "
Le " signal " est donné. Aux yeux du profane, il peut paraître
faible. Ne sommes-nous pas habitués à des amplitudes de 20°C ou plus selon
les saisons ? Mais il s'agit d'une hausse globale moyenne qui accentue les
variations régionales et saisonnières. Avec une différence de 5° par rapport
à la moyenne du climat actuel, en plus ou en moins, on se retrouve dans des échelles
comparables à celles qui ont provoqué les grands bouleversements climatiques
de l'histoire géologique.
Au maximum de la dernière grande glaciation, les carottages dans les glaces
de l'Arctique, qui constitue la grande mémoire du climat passé, révèlent que
la température moyenne n'était que de 4 à 5° inférieure à celle
d'aujourd'hui. Quand les dinosaures ont disparu, la différence moyenne était
de 6 à 7°.
Or, remarque Jean Jouzel, " il n'y a pas plus de probabilité de faire
plus 1 degré que plus 3 ". Les équilibres des écosystèmes sont
fragiles. La modification, même limitée, du régime des pluies peut changer,
ici, un climat sec en désert et obliger, là, à élever des digues.
L'origine du réchauffement n'est désormais pas plus discutée que sa réalité
: l'homme est coupable, pas la nature. L'immense travail interdisciplinaire qui
a été accompli par le GIEC - quatre mille scientifiques internationaux, "
labellisés " par leurs gouvernements respectifs, qui ne se sont appuyés
que sur des travaux dûment vérifiés et sur des rapports âprement discutés -
a été longtemps contesté. En particulier par les sceptiques. Malgré les
lazzis, les équipes du GIEC ont continué à aligner courbes et graphiques,
observations et données. Et leur travail est désormais admis comme base de
discussion par l'ensemble de la communauté scientique comme par tous les
gouvernements. " C'est la meilleure évaluation que nous ayons ", juge
Rosina Bierbaum, conseiller au bureau des sciences de la Maison Blanche.
Il aura fallu six mille pages de rapports et des années de discussions
parfois contradictoires pour que le GIEC parvienne, en 1995, à affirmer, dans
un langage qui reste d'une prudence extrême en raison du télescopage des intérêts
économiques et nationaux en son sein, qu'il y a " une influence
perceptible de l'homme sur le climat " et que, si aucune preuve décisive
ne pouvait encore être avancée, si les connaissances restaient " limitées
sur de nombreux processus essentiels ", une convergence d'éléments "
suggérait " cette influence.
En 1990, dans un premier rapport, le GIEC ne relevait qu'un réchauffement
" comparable à la variabilité naturelle ". Cinq ans de recherches
ont permis de franchir un pas très important dans la maîtrise de la
connaissance. Cela rend d'autant plus crédible les projections du GIEC : une
hausse des températures comprise entre 1°C et 3,5° d'ici 2100, certains
scientifiques en son sein allant jusqu'à envisager sérieusement une hausse de
5°. Après avoir décrit un phénomène dont il a identifié la réalité, puis
les causes, le GIEC travaille à établir les conséquences régionales du réchauffement.
Ce troisième rapport, prévu pour être publié en 2000, est très attendu ; il
portera à la connaissance du monde l'état prévisible des lieux soumis au réchauffement.
Autrement dit, ce qui va changer dans les écosystèmes terrestres et aquatiques
ainsi que dans les secteurs socioéconomiques ; quels continents, quels pays,
quelles régions, quelles populations, quels secteurs économiques vont y gagner
et lesquels vont y perdre en termes de développement, de santé et de bien-être.
D' ores et déjà, le deuxième rapport avertit : " Les divers secteurs
de la société doivent s'attendre à être confrontés à des bouleversements
multiples et à la nécessité de s'y adapter. " Le doublement des
concentrations de gaz à effet de serre est inévitable, même si les pays du
monde parviennent à stabiliser leurs émissions à leur niveau actuel. Le GIEC
a " calé " sa prévision de hausse entre 1 et 3,5°C, avec un scénario
moyen à +2°, dans cette hypothèse et dans cette hypothèse seulement. Il ne
manque cependant pas d'évoquer que les concentrations seront bien plus
importantes (un triplement ou un quadruplement) - et les conséquences d'autant
plus dramatiques - si ces émissions continuent de croître à la vitesse
actuelle.
Les conséquences répertoriées par le deuxième rapport du GIEC - "
les plus probables en accord avec nos connaissances ", selon l'Organisation
météorologique mondiale - font état de tendances générales inquiétantes.
" L'intensification du cycle hydrologique global " d'abord, c'est-à-dire
la perturbation du régime des pluies avec de plus fortes disparités saisonnières,
en particulier sur l'hémisphère Nord, des sécheresses plus fréquentes et
plus étendues au nord de la zone subtropicale, des inondations plus violentes
et des tempêtes plus nombreuses (ouragans, cyclones, tornades), un renforcement
de la désertification dans les zones arides ou semi-arides, des pénuries d'eau
plus marquées ; " une hausse du niveau de la mer par dilatation thermique
et fonte des glaciers " ensuite, entre 15 et 95 centimètres, susceptible
de fragiliser plusieurs zones littorales et d'envahir des deltas où les
habitations et l'activité économique se sont concentrées (près de la moitié
de la population mondiale vit à proximité des océans), voire de condamner des
petites îles à une quasi-disparition ; " Une modification des écosystèmes
et de la végétation " avec des migrations de 150 à 550 kilomètres vers
le Nord qui pourraient entraîner des substitutions difficiles ou provoquer des
disparitions brutales ; " un risque de recrudescence des maladies
infectieuses à transmission par vecteur " tels que paludisme, dengue ou fièvre
jaune, imputable à l'extension de l'aire de répartition et à la période de
reproduction des vecteurs.
Au total, au-delà d'une diminution du PIB mondial de 1,5 à 2,5 points,
c'est une vulnérabilité accrue que le GIEC et le stress climatique promettent
à l'homme. Sans doute les pays industrialisés trouveront-ils les moyens de s'y
adapter, plus ou moins douloureusement. Nul doute en revanche que les pays les
plus pauvres, ceux qui sont le plus soumis aux aléas naturels, vont payer la
facture. Dans l'hémisphère Sud, là où le rapport à l'environnement naturel,
l'eau, les pluies, le sol, les forêts, la mer, est une condition de la survie
de tous les jours, des milliards d'hommes et de femmes n'ont pas attendu pour
faire l'amère expérience des changements climatiques. L'augmentation des
catastrophes naturelles, les déficits chroniques en eau ou la modification du régime
des pluies, ils connaissent déjà. L'ensemble de ces phénomènes climatiques
extrêmes et parfois contradictoires constituent le témoignage vivant du
principe du bouleversement climatique : un dérèglement paroxysmique. Autrement
dit, le climat perd la boule. Du moins celui auquel l'humanité était habituée
depuis qu'un grand singe a pris rang d'homme à la grande roulette de l'évolution
naturelle.
Les responsables de l'Organisation météorologique mondiale, premiers
inquiets - " plus le temps passe, plus les observations et les indices
s'accumulent ", estime Michel Jarraud, secrétaire général adjoint de
l'organisation -, avertissent que ces dérèglements détectés régionalement
peuvent être surestimés par la médiatisation dont ils font l'objet. Force
amplificatrice de l'image ou pas, il n'empêche qu'aujourd'hui l'est de
l'Afrique est soumis à des inondations meurtrières alors qu'elle venait d'être
accablée de sécheresse (le même phénomène s'est produit récemment, dans le
sens inverse, en Corée du Nord). Les précipitations ont nettement diminué
dans les régions méditerranéennes, au Sahel et autour du golfe de Guinée.
Les glaciers des Alpes ont perdu près de la moitié de leur volume et la
calotte glaciaire du nord et du nord-est du Groenland fond plus vite qu'elle ne
se reconstitue. La température en Sibérie a augmenté de 3°C. Les zones
arides ou semi-arides sont plus chaudes sans devenir plus humides. Un cinquième
du territoire espagnol est soumis à la désertification. Les provinces du nord
de la Chine sont victimes d'une sécheresse persistante. La végétation des
zones septentrionales de l'hémisphère nord se développe. Les insectes
ravageurs et les champignons pathogènes (chenille processionnaire du pin ou
chancre du châtaignier) s'attaquent de plus en plus aux arbres du nord de la
France. Le retard de la mousson a permis le développement de grands incendies
en Indonésie...
La faute à El Nino, aléa climatique " normal " ? Justement. Son
intensité et sa fréquence interrogent. Sa puissance destructrice n'est-elle
pas aggravée par le réchauffement climatique ?. " La question se pose
", reconnaît le professeur François Delsol, directeur du programme
consacré à la recherche atmosphérique à l'OMM. Un enquêteur du Guardian,
David Plotz, a posé la question aux scientifiques. " Certains disent que
le réchauffement climatique rend El Nino plus terrible ; les autres répondent
qu'El Nino rend le réchauffement climatique plus sévère ", conclut-il
plaisamment. En tout cas, l'épisode 1997-1998 sera probablement le plus violent
du siècle. Il avait d'ailleurs été prévu par les modèles des météorologues,
ce qui montre le degré de fiabilité auquel on est désormais parvenu. Les
autorités indonésiennes avaient été prévenues mais n'ont tenu aucun compte
de l'alerte.
Même si les indices convergent, nombre d'incertitudes demeurent. Elles ont
principalement trait à la rétroaction des océans, des courants, des nuages,
de la glace, des systèmes terrestres et marins modifiés ainsi qu'à l'effet
parasite des aérosols, gaz, poussières ou cendres qui refroidissent l'atmosphère.
Mais la nature du doute s'est déplacée. Celui-ci ne porte plus sur la réalité
du phénomène, ni sur son lien avec les émissions de gaz dues aux activités
humaines. Ni même sur une série de conséquences prévisibles. Mais sur le
degré d'amplitude de celles-ci.
Un nouveau débat oppose ceux qui " espèrent " que, dans sa grande
sagesse, la nature saura trouver la parade, corrigera ou neutralisera le réchauffement,
à ceux qui au contraire " craignent " qu'elle se révolte et
n'amplifie le mouvement. Les " optimistes " (en général les anciens
sceptiques) misent sur l'océan et ses immenses ressources d'inertie pour "
annuler l'effet de serre additionnel " ou du moins l'amortir. L'océan, en
effet, avec les " puits de carbone " que sont les forêts, a toujours
été le maître régisseur de la concentration de CO dans l'atmosphère. Sur
les 7 milliards de tonnes rejetées annuellement par le facteur humain, on sait
qu'il en récupère en ce moment au moins deux et les forêts une. Les "
pessimistes " s'interrogent. Jusqu'à quand l'océan fera-t-il ainsi le
gros dos ? Sera-t-il capable de faire face à une nouvelle augmentation si, au
lieu du doublement de la concentration de gaz dans l'atmosphère, on passe à un
triplement, voire à un quadruplement ?
" L'océan n'est pas nécessairement le grand régulateur que l'on
croyait, il ne faut pas compter sur lui pour pomper automatiquement les surplus
de CO ", explique Jean-Claude Duplessy à ceux qui se satisferaient d'une
" vision tranquille ". Les paléoclimatologues ont détecté dans les
glaces qu'il est susceptible de grands bouleversements en quelques dizaines
d'années et qu'à partir du franchissement d'un seuil il a un effet
amplificateur. " Le risque est plus qu'un cas d'école ", confirme
Jean Jouzel puisque ce type de variations rapides a été observé dans le passé.
Car la répartition et la régulation du climat s'opère dans l'océan à
partir d'une circulation qui transporte, tel un gigantesque tapis roulant, eaux
chaudes et courants froids d'un pôle à l'autre de la planète. Le
ralentissement plus ou moins fort de cette circulation océanique - à cause en
particulier d'un surcroît de pluie dans l'Atlantique nord, hypothèse que les
experts du GIEC ont retenue comme plausible dans leur rapport - pourrait
constituer la pire des " surprises ". Le grand régulateur se mettrait
alors à cahoter ou tomberait en panne. Les conséquences seraient imprévisibles.
" Au fur et à mesure que les émissions de gaz à effet de serre
augmenteront, nous entrerons dans un régime climatique totalement nouveau, sans
aucun équivalent au cours du dernier million d'années, insiste Jean-Claude
Duplessy. Nous sommes dès maintenant partis vers un grand plongeon dans
l'inconnu. " Deux chercheurs de l'université de Princeton, M . Manabe et
M. Stouffer, ont osé simuler le ralentissement de la circulation océanique.
Selon leurs calculs, si la concentration de gaz quadruple, le " tapis
roulant " serait cinq fois plus lent et les Etats-Unis connaitraient une
hausse des températures de 10°C !
Tout concourt donc à ce que l'augmentation des émissions de gaz soit freinée
ou stoppée car, selon la formule de Jean Jouzel, " plus on s'éloigne du
climat actuel, plus le risque s'élève ". Or on en est loin. Si l'Union
européenne, meilleure élève de la classe, parvient grosso modo à stabiliser
en l'an 2000 ses émissions à leur niveau de 1990, les Etats-Unis (qui
produisent un quart des émissions) sont, selon l'US Agency's Energy, sur une
pente d'augmentation de 34 % pour 2010. Le Japon a fait + 8 % en cinq ans, la
Chine + 27 % depuis 1990, l'Inde + 28 %, le Brésil + 20 % et l'Indonésie + 40
%. Globalement, l'Agence internationale de l'énergie estime que, si les
tendances actuelles se maintiennent, en particulier une forte demande de pétrole,
la planète émettra 49 % supplémentaires de gaz à effet de serre en 2010. La
marche vers le quadruplement des concentrations dont tout le monde a la hantise
serait alors triomphale.
A moins qu'elle ne soit interrompue à Kyoto où la communauté
internationale a rendez-vous au début du mois de décembre, pour mettre en
oeuvre les moyens de réagir. Un protocole de réduction des émissions est au
menu. Il soulève polémiques et conflits entre les Etats et entre les Etats et
les entreprises. Mais son urgence ne se discute pas. " Le temps est un luxe
que nous ne pouvons pas nous permettre ", a déjà averti le climatologue
Benjamin Santer, un des principaux rédacteurs du deuxième rapport du GIEC.
2: Les conséquences pour chaque continent
Les pays " perdants " seront les pays les plus pauvres et les plus
peuplés. Les " gagnants " seront les pays tempérés situés les plus
au nord et les régions boréales
Par Jean-Paul Besset
Le troisième rapport d'évaluation du Groupe intergouvernemental sur l'évolution
du climat (GIEC) devrait déterminer les conséquences régionales du changement
climatique et être publié en 2000. Une première mouture de ce rapport, dont
nous avons eu connaissance, a déjà été élaborée. Elle devrait servir de
base au document final. Ses évaluations reposent sur l'estimation retenue par
le GIEC d'un réchauffement moyen de la planète de 2°C d'ici à 2100, calculée
à partir du doublement des concentrations de gaz à effet de serre.
Cependant, si les émissions de gaz continuent à progresser de 10 % à 20 %
par décennie, comme l'indiquent les derniers chiffres connus, leur
concentration triplera ou quadruplera au cours du siècle, scénario noir que le
GIEC n'a pas simulé.
Les informations que nous donnons et que nous avons fait figurer en cartes
ont pour origine ce prérapport.
La nouvelle évaluation du GIEC sur les impacts régionaux du changement
climatique conclut à " une plus grande vulnérabilité de la santé
humaine, des écosystèmes et des secteurs socioéconomiques " sous
l'impact d'un réchauffement climatique qui sera très variable selon les régions
du monde. Le réchauffement a " le potentiel de bouleverser l'aptitude des
systèmes physiques et biologiques de la Terre, de fournir les biens et services
essentiels pour un développement économique durable ".
L'AFRIQUE
" L'Afrique est le continent le plus vulnérable. " Beaucoup d'écosystèmes
et d'organismes " ne seront pas capables de s'adapter " à des
conditions plus chaudes dans les zones désertiques, arides ou semi- arides. Les
pâturages et les champs de l'ouest, de l'est et du sud du continent, où une réduction
des précipitations est prévue, sont particulièrement menacés. Le déséquilibre
hydrologique provoquera l'effondrement de plusieurs activités économiques. La
production hydroélectrique souffrira de la réduction du débit des rivières.
L'augmentation des sécheresses d'été et des températures d'hiver sera préjudiciable
à l'agriculture, provoquant disettes et famines locales. Les rendements
pourraient connaître une baisse allant jusqu'à 30 %. Des changements dans les
courants marins entraîneront la migration d'espèces de poissons, réduisant
les prises de la pêche artisanale. Le littoral du Sénégal, de la Sierra
Leone, du Nigeria, du Cameroun, du Gabon et de l'Angola est susceptible d'être
envahi en partie par la mer, de même que le delta du Nil. Côte est et côte
ouest seront affectées par des tempêtes. La malaria, la dengue et la fièvre
jaune infecteront de nouvelles régions. L'activité touristique devrait régresser.
LE MOYEN-ORIENT ET L'ASIE CENTRALE
Dans cette région à prédominance aride et semi-aride, " les terres
qui sont des déserts resteront des déserts ". Une petite hausse des précipitations
sera annulée par l'élévation des températures et une plus forte évaporation.
La pénurie d'eau, déjà sensible, devrait être " exacerbée ",
devenant un " facteur limitant " pour les écosystèmes, pour
l'agriculture, ainsi que pour la présence humaine . La production de blé au
Pakistan et au Kazakhstan sera particulièrement affectée et la sécurité
alimentaire de plusieurs pays menacée.
L'EUROPE
La situation sera radicalement différente au nord et au sud du continent. En
Scandinavie et dans le nord de la Russie, les forêts envahiront la toundra. Les
sols gelés auront tendance à fondre. On assistera à une vaste mutation des
espèces végétales et animales, avec un risque de disparition pour nombre
d'entre elles. La pluie deviendra plus abondante, l'hiver, sur la partie nord.
En revanche, la moitié sud du continent sera moins arrosée et connaîtra des
problèmes d'eau. Le nord et le nord-ouest seront soumis à des inondations
tandis que le sud subira des sécheresses entraînant une forte augmentation des
besoins en irrigation. Les cultures de céréales seront favorisées au nord
ainsi qu'en Europe centrale et en Europe de l'Est, au détriment de la Grèce,
de l'Espagne, de l'Italie et du sud de la France. La hausse du niveau de la mer
menacera les côtes des Pays-Bas, de l'Allemagne, de l'Ukraine et de la Russie
ainsi que les deltas méditerranéens. Les glaciers des Alpes devraient
quasiment avoir disparu à la fin du XXIe siècle. Des températures plus élevées
permettront une baisse de la demande d'énergie.
L'AMÉRIQUE DU NORD
Le climat devrait devenir nettement plus sec sur une large partie du
continent, en particulier dans le centre, l'ouest et le sud. Les grandes plaines
du sud et du sud-est ainsi que la ceinture de blé souffriront de sécheresses
" sévères ", avec des risques accrus d'incendies. En revanche, les
plaines du Nord et du Nord-Ouest profiteront d'une température plus chaude et
d'une plus grande pluviosité, surtout en hiver, permettant d'envisager une
baisse de la consommation énergétique. La hausse du niveau de la mer devrait
être sensible sur la plupart des côtes et des estuaires et menacera les
ressources en eau douce par des intrusions d'eau de mer.
L'AMÉRIQUE LATINE
La pluviosité et le ruissellement des eaux devraient diminuer sur le
continent sud-américain, appauvrissant les réserves souterraines d'eau,
particulièrement au Panama, au Costa Rica, au Chili et dans les Andes. La
production agricole baissera au Mexique et dans plusieurs régions du Brésil et
du Chili, encourageant la migration vers les villes. Le sud de l'Argentine
devrait, au contraire, améliorer sa productivité malgré les inondations. Le
risque d'élévation du niveau de la mer sera particulièrement sensible dans
l'isthme centraméricain, au Venezuela et en Argentine. Le continent sera soumis
à une augmentation des tempêtes. Malaria, dengue et choléra gagneront de
nouveaux territoires.
L'ASIE TEMPÉRÉE
Cette région, du Japon à la Sibérie en passant par la plus grande partie
de la Chine, se présente avec un maximum d'incertitude. On n'a établi qu'une
diminution des ressources en eau et de la masse des glaciers. De grandes
variations dans les rendements agricoles sont attendues selon les régions, en
particulier en Chine. Le nord de la Sibérie devrait voir sa productivité
agricole augmenter, mais celle-ci devrait baisser au Sud-Ouest. La côte du
Japon, où sont concentrés 50 % de l'industrie, est sous la menace d'une hausse
du niveau de la mer à partir de 1 mètre.
L'ASIE TROPICALE
" Le changement climatique s'ajoutera aux autres stress de la région
comme l'urbanisation rapide, l'épuisement des ressources naturelles, les
pollutions et la dégradation des terres. " Il sera particulièrement négatif
sur les écosystèmes côtiers à cause de la hausse du niveau et de la température
de la mer. Au Bangladesh, des dizaines de millions de personnes pourraient être
déplacées. Les côtes de l'Asie du Sud-Est sont également menacées et, avec
elles, les ressources de la mer et du tourisme.
Les glaciers de l'Himalaya vont accélérer leur régression et les
disponibilités en eau en provenance des neiges vont décroître.La sécurité
alimentaire sera étroitement dépendante de la puissance destructrice des
cyclones, des inondations et des sécheresses. Les maladies infectieuses,
malaria et dengue, devraient se développer.
L'OCÉANIE
Les côtes de l'Australie et des îles du Pacifique Sud seront soumises à de
violentes tempêtes, mais il semble que la Grande Barrière de corail soit
capable de résister à une hausse du niveau de la mer.
L'Australie connaîtra une aggravation des sécheresses. Les ressources en
eau des petites îles vont baisser. En Nouvelle-Zélande, les neiges
diminueront.
LES PETITES ÎLES
Situées pour la plupart dans les tropiques, les petites îles sont très
vulnérables à la hausse du niveau de la mer et à l'aggravation des cyclones.
Le territoire de certaines d'entre elles comme les Maldives, les Bahamas,
Kiribati ou Marshall pourrait être en grande partie submergé. La salinisation
menace les ressources en eau. Le tourisme, principale ressource économique, en
souffrira.
3: Les états divergent sur les solutions
Jean-Paul Besset
Malgré la vive opposition entre l'Europe, partisane d'une réduction des émissions
de gaz à effet de serre à coups de mesures contraignantes, et les Etats-Unis,
qui souhaitent une stabilisation grâce à des mécanismes de marché, la conférence
climatique de Kyoto devrait permettre de remettre la planète dans le bon sens
de la marche
Cest la nouvelle de la semaine : Tim Wirth a trouvé un autre job !
Quelques jours avant l'ouverture de la conférence de Kyoto, le responsable de
la délégation américaine, incarnation de l'intransigeance de son pays dans
les négociations climatiques, a claqué la porte de la Maison Blanche. No
comment. Ted Turner, qui se dépense sans compter pour que les Etats-Unis
changent d'attitude et acceptent de réduire leurs émissions de gaz à effet de
serre, lui a immédiatement proposé la direction de sa fondation. Etrange.
D'autant plus que le sénateur Tim Wirth était de ceux qui, il n'y a pas
longtemps, dénonçaient haut et fort les dangers de l'effet de serre. Aurait-il
essayé, sans succès, de convaincre Bill Clinton d'assouplir sa position ?
Voilà en tout cas qui va mettre un grain de sel supplémentaire dans la
grande négociation planétaire de Kyoto. Les camps paraissent irréductiblement
figés. L'Europe contre les Etats-Unis, avec, au milieu, le Japon et, derrière
les deux champions, une foule de supporteurs irascibles. L'enjeu est de taille :
engager toutes les nations du monde à contenir la menace de plus en plus prégnante
d'un réchauffement climatique dont les conséquences sont susceptibles de
compromettre le développement économique et le bien-être des populations.
Les politiques ont d'ailleurs bien reçu le message des scientifiques.
Maurice Strong, l'ex-secrétaire général du Sommet de la Terre de Rio : "
Si nous n'agissons pas vite et fort, la nature le fera de façon bien plus
brutale " ; Al Gore, le vice-président américain : " Plus nous
attendrons, plus les choix à venir seront désagréables " ; Tony Blair,
le premier ministre britannique : " Si nous échouons à Kyoto, nous échouons
pour nos enfants " ; Bill Clinton lui-même, devant les présentateurs météo
de toutes les télévisions américaines qu'il a conviés à Washington pour les
sensibiliser au sujet : " Beaucoup d'Américains voient venir le train,
mais n'entendent pas le sifflet. " Mais, à la grande loterie climatique
qui semble d'ores et déjà organiser la ligne de partage entre les gagnants et
les perdants, selon la bonne vieille fracture Nord-Sud, riches et pauvres,
privilégiés et exclus, les politiques ont aussi fait leurs comptes. Les décisions
d'agir, ou d'agir peu, ou de ne pas agir, ont des conséquences directes en
termes géostratégiques. Telle qu'elle se pose désormais, la question
climatique touche aux perspectives énergétiques, et l'on sait que l'on peut
faire au moins une guerre pour le pétrole. Le réchauffement de la planète
oblige à repenser les modes de production et de transport. La sécurité
alimentaire (et l'arme qu'elle constitue toujours) est à ce prix, de même que
l'avenir de milliards de gens qui vivent au bord de mers qui risquent de monter
dans des zones arides en voie de désertification ou près de tropiques en proie
aux cyclones.
Les responsabilités respectives des pays industrialisés et de ceux qui sont
en quête de développement dans la gestion des biens communs - l'eau, la pluie,
l'atmosphère, l'océan - sont remises à plat. " Le réchauffement pose la
question de la rationalité des décisions politiques face à de grands risques
à probabilité incertaine ou inconnue ", estime l'économiste Jean-Claude
Hourcade, qui a participé, ès qualité, aux travaux du Groupe
intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), dont les rapports
constituent la base des négociations de Kyoto.
Ajoutons à cela, pour compliquer le tableau, la grande foire des égoïsmes
nationaux et individuels. L'Australie, par exemple. Voici un pays qui n'a de
cesse de brandir la bannière écologique sur toutes les tribunes
internationales. Ne souhaite-t-elle pas organiser à Sydney les premiers Jeux
olympiques " verts " de l'histoire ? Or, sa dépendance à l'égard
des exportations de charbon l'amène à être le pays qui refuse avec le plus
d'agressivité la moindre perspective de limitation. On l'a même vu se livrer
à un chantage sur les petites îles-Etats du Pacifique sud qui profitent de sa
manne, mais qui, menacées plus que toute autre par la hausse du niveau de la
mer, exigent avec véhémence une réduction de 20 % des émissions de gaz.
Selon une récente enquête, une large majorité d'Américains (71 %) considèrent
que le réchauffement est un problème " urgent " appelant la nécessité
d'un accord international ; mais plus de 50 % refusent toute perspective de taxe
sur les carburants. Un tel sondage donnerait probablement des résultats équivalents
en Europe ou ailleurs. Qui, quelque part, ne pense pas un peu comme Thomas Gale
Moore, membre éminent du Hoover Institute : " La plupart des Américains
préfèrent avoir chaud plutôt que froid et ils ont raison " ?
L'inévitable question des gros sous pèse aussi, d'autant plus que l'impératif
de réduction des dépenses publiques s'est mondialisé. Combien cela va-t-il coûter
? Rien du tout, répond le Fonds mondial pour la nature (WWF), qui a calculé
qu'une réduction de 21 % des émissions de gaz carbonique (C2) d'ici à 2010
permettrait de faire 136 milliards de dollars d'économies d'énergie aux
Etats-Unis. Un maximum, 227 milliards de dollars et des centaines de milliers
d'emplois, rétorque la Global Climate Coalition, qui regroupe les principaux
industriels nord-américains. Un petit peu, entre 15 et 35 millions d'écus en
2010, soit 0,2 % à 0,4 % du PIB européen, avance l'Union européenne.
Face à cette volée de chiffres contradictoires, le GIEC, dans un résumé
à l'intention des décideurs, considère que les estimations ont " un
caractère hautement spéculatif " et s'en tient sagement au principe que
" la vie humaine est un élément extérieur au marché ".
Car la première question, celle qui détermine tout le reste, est bien
celle-ci : comment éviter que l'existence de pans entiers de la population
mondiale ne soit fragilisée, comment faire en sorte que les hommes, bardés
comme jamais de technologies et de connaissances, ne se retrouvent pas plus vulnérables
devant une catastrophe naturelle qu'ils ont malencontreusement provoquée ? Le défi
tient en deux chiffres explosifs : croissance de la population et du développement
aidant, la demande d'énergie à base de charbon et de pétrole augmentera de 30
% dans les quinze prochaines années, selon Robert Priddle, directeur exécutif
de l'Agence internationale de l'énergie ; et, selon la FAO, les besoins
alimentaires seront, en 2020, l'équivalent du double de la quantité disponible
aujourd'hui.
Plus de pétrole et de charbon consommés, c'est encore plus de gaz
carbonique envoyé dans l'atmosphère. Plus d'agriculture intensive, de rizières
et de troupeaux, c'est la promesse de plus grandes quantités de méthane. Les
deux principaux gaz responsables du renforcement de l'effet de serre, dont, à
Kyoto, on se propose de stabiliser les émissions, semblent avoir de beaux jours
devant eux.
Mission impossible, alors ? Difficile, sans doute, mais peut-être pas aussi
hors de portée qu'il n'y paraît. L'opposition entre les Etats-Unis et l'Union
européenne, pour spectaculaire qu'elle est, ne doit pas masquer que les deux
puissances sont, sur le fond, d'accord sur l'essentiel, à savoir maîtriser et
réduire les émissions de gaz, identifiés à l'unisson des deux côtés de
l'Atlantique comme porteurs de lourdes menaces.
Un clivage existe, et il est probable qu'il entretiendra le suspense à
Kyoto. Les Etats-Unis promettent de s'en tenir à une stabilisation entre 2008
et 2012 au niveau de 1990, alors que les Quinze s'engagent sur une réduction de
15 % avant 2010. Les Américains proposent d'agir en s'appuyant sur la
flexibilité des instruments du nouveau marché de la pollution (permis négociables,
exécutions conjointes, Bourse d'échange) - instruments qu'ils ont expérimentés
chez eux contre les émissions de soufre -, alors que les Européens privilégient
des objectifs contraignants et réglementaires. Mais les premiers n'ont pas dit
définitivement non à un objectif de réduction. Et les seconds sont prêts,
dans le cadre de quotas de réduction significative par pays et avec des outils
institutionnels qui permettent de contrôler le marché de la pollution, à intégrer
les propositions américaines. Mercredi 26 novembre, la ministre de
l'environnement française, Dominique Voynet, qui ne passe pas pour une
partisane d'un monde où la pollution serait à vendre, envisageait publiquement
" l'éventuelle acceptation d'un système de permis négociable " si,
" au préalable ", des objectifs de réduction " ambitieux "
étaient fixés.
Les différences d'approche révèlent en réalité une divergence
traditionnelle entre les deux continents, d'ordre historique et culturel, sur le
mode de régulation du marché, ainsi que sur le rôle de l'Etat. Elles ne sont
pas pour autant incompatibles. Les conditions des uns et des autres seront sans
doute âprement discutées. Elles peuvent cohabiter. L'espace d'un compromis est
ouvert. Il restera ensuite à savoir si le verre est à moitié plein ou à
moitié vide.
Kyoto peut donc réussir, quoi qu'on en dise ici ou là. C'est sans doute
l'essentiel, car un accord au Japon sonnera comme le signal d'une mise en
mouvement. Le plus de réduction possible au rythme le plus rapide possible,
comme le souhaite l'Europe, constituerait sans doute un résultat parfait dans
la mesure où la meilleure pollution est celle qui n'a pas eu lieu. Mais un
engagement significatif de l'ensemble des nations du monde pour inverser la
tendance vers ce qui apparaît à beaucoup comme un suicide collectif
constituerait, en tout état de cause, un mieux. Au départ, le sens d'un
mouvement compte peut-être plus que son contenu.
La seule divergence susceptible de faire échouer les négociations réside
dans la volonté affichée des Etats-Unis d'impliquer immédiatement les pays du
Sud dans un processus de réduction. Personne ne conteste la nécessité que des
grands pays comme la Chine, l'Inde, le Mexique ou le Brésil en viennent eux
aussi à réduire leurs émissions de gaz qui commencent à progresser
(aujourd'hui, un Chinois ou un Indien en produit néanmoins dix à vingt fois
moins qu'un Américain). Mais exiger d'eux qu'ils y procèdent tout de suite en
se privant d'une grande partie des moyens énergétiques que les pays
industrialisés ont eus pour se développer, alors qu'ils n'ont pas pollué le
nid, relève de l'inacceptable. Comment mettre les automobiles de Los Angeles ou
les centrales thermiques allemandes sur le même plan que les rizières d'Asie
ou les cultures sur brûlis d'Afrique ?
On est là en présence d'une divergence qui touche à la morale des
relations internationales, dont les négociations de Kyoto ne sont pas forcément
dispensées. Ce serait, comme dit le chercheur indien Anil Agarwal, accepter que
ceux qui ont " une dette naturelle globale " s'en affranchissent sur
le dos des autres, revendiquer que les pollueurs fassent payer les victimes.
Lors de la signature, en 1987, du protocole de Montréal pour l'élimination des
gaz qui attaquaient la couche d'ozone, les pays industrialisés, responsables du
phénomène, n'ont-ils pas décidé de prendre les devants, acceptant que ceux
du Sud ne les rejoignent que progressivement ?
En pratique, rien ne s'oppose à ce que les processus de réduction démarrent.
Les solutions d'une moindre consommation énergétique existent. Elles sont,
selon la Commission de Bruxelles, " techniquement possibles et socialement
acceptables ". Diversification des sources, économies d'énergie, développement
des énergies renouvelables, " chasse au gaspi ", nouvelles
technologies, recyclage des matériaux, modernisation des installations,
gestions plus efficientes... De ce point de vue, les industries américaine et
européenne ont montré, depuis les deux chocs pétroliers, que les progrès
pouvaient être spectaculaires. Le " business challenge " s'est révélé
positif. Des gisements d'économies considérables existent encore dans le
secteur des transports (nouveaux carburants, nouveaux moteurs, nouveaux véhicules,
amélioration de l'offre des transports en commun, réhabilitation du rail) et
dans celui de l'habitat (isolation, matériaux adaptés, éclairages économes).
Et l'agriculture peut, elle aussi, mener une révolution douce qui passe par la
modification des pratiques intensives.
Pour terrasser l'hydre de l'effet de serre, il ne s'agit donc pas de déclarer
" une économie de guerre ". Mais encore faut-il le vouloir. Et le
faire. La mise en oeuvre d'une " transition énergétique " aura un coût
et provoquera des grincements de dents. Les lobbies ne manqueront pas de dresser
des sièges. Mais les gouvernements disposent d'un outil efficace pour conduire
le mouvement : la carotte et le bâton fiscal, rebaptisés écotaxe. Du mal,
finalement, peut naître un bien : une meilleure productivité, une croissance
plus équilibrée, et des comportements moins hystériques. Au bout de l'effet
de serre, la civilisation moderne est au défi de trouver un autre équilibre et
d'entrer dans un cercle vertueux.
Le réchauffement climatique et ses conséquences
J.-P. B.
Les mesures contenues dans le protocole adopté par les 159 pays présents à
la conférence de Kyoto, et qui sera soumis à la plupart des parlements
nationaux, reposent sur un diagnostic établi ces dernières années par quelque
4 000 scientifiques regroupés dans le Groupe d'experts intergouvernemental sur
l'évolution du climat (GIEC). Les deux rapports du GIEC, publiés en 1990 et
1995, établissent avec une "quasi-certitude" la réalité du
changement climatique. Ils avancent plusieurs hypothèses sur l'ampleur de
celui-ci et en analysent les conséquences sur les écosystèmes, les activités
économiques et la santé des hommes.
Un changement dû à l'homme. Ce n'est pas le premier grand changement
climatique de l'histoire de la planète, mais celui-ci est, pour la première
fois, provoqué par les gaz issus des activités humaines (l'industrie, le
transport et l'agriculture). C'est également la première fois qu'une
modification du climat se produira de manière aussi rapide : un siècle
environ, contre des millénaires pour les précédents.
Une ampleur problématique. La température moyenne de la Terre a déjà
augmenté d'un demi-degré, et les années les plus chaudes sont concentrées
dans la dernière décade. Selon les modèles climatiques qui s'avèrent de plus
en plus fiables et précis, les projections situent la hausse entre 1 degré
Celsius (C) et 5 °C d'ici à un siècle. A + 1 °C, les conséquences seront maîtrisables
; plus on se rapprochera du haut de la fourchette, plus l'humanité s'orientera
vers l'inconnu.
Des conséquences brutales. Nombre de signes révèlent déjà le
bouleversement climatique en cours. Il se traduit par une aggravation des phénomènes
extrêmes - tempêtes, sécheresses, inondations - et la modification du régime
et de la répartition des pluies. Des changements très importants pourraient
intervenir dans les écosystèmes avec une extension de la désertification, un
glissement des zones et des types de végétation vers les pôles et,
probablement, la disparition de nombre d'entre elles. Le niveau des mers
pourrait monter jusqu'à un mètre, inondant des littorals et des deltas très
peuplés ainsi que des petites îles dont certaines sont menacées de disparaître.
L'humanité plus vulnérable. Les hommes devront affronter de nouveaux
risques et de nouvelles pressions, plus ou moins accentués selon le degré
d'augmentation de la température, surtout dans les zones les plus pauvres et
les plus peuplées de la planète. Les ressources en eau seraient particulièrement
affectées de même que les productions agricoles dans les régions sèches,
arides et semi-arides. L'apparition de disettes et de famines localisées est
probable. Les zones tropicales souffriront d'une recrudescence de tempêtes
entraînant la destruction d'infrastructures. Les vecteurs de maladies comme la
malaria ou le choléra seront favorisés.
Les Etats-Unis et l'Europe s'affrontent à la conférence climatique de Kyoto
Jean-Paul Besset
Les conditions de réduction des gaz à effet de serre, responsables du réchauffement
climatique, devraient faire l'objet d'un protocole international. Objectifs
contraignants ou recours au marché, participation des pays du Sud ou pas, les
divergences sur la méthode divisent la planète en deux camps
Deux mauvaises nouvelles attendent les délégués des 165 pays signataires
de la Convention des Nations unies sur les changements climatiques qui doivent
se réunir, du 1er au 13 décembre, à Kyoto, pour élaborer un protocole
international de réduction des gaz à effet de serre, responsables du réchauffement
climatique (Le Monde du 26, 27 et 28 novembre).
Les climatologues britanniques du centre de prévision météorologique de
Hadley et de l'université d'East Anglia ont établi que l'année 1997 sera, en
moyenne, la plus chaude de toutes celles qu'on a pu observer depuis 1860. Le
record sera ainsi battu pour la cinquième fois depuis le début de la décennie.
Le " signal " du réchauffement global que la plupart des
scientifiques croient voir dans la hausse de la courbe des températures s'en
trouve un peu plus confirmé.
RÉALITÉ ÉTABLIE
Autre mauvaise nouvelle : Eurostat a fait savoir, jeudi 27 novembre, que les
émissions de gaz carbonique (CO), principal responsable d'un renforcement de
l'effet de serre, ont augmenté de 1,7 % dans l'Union européenne en 1995 par
rapport à l'année précédente. L'Europe, qui passe pour le meilleur élève
dans la lutte contre l'effet de serre, n'a pas un aussi bon dossier que ça.
Quant aux Etats-Unis, on a appris il y a quelques semaines que leurs émissions
ont grimpé en un an de 3,4 %. Le dossier américain est exécrable. De même
que celui du Japon : + 8 % en cinq ans. De leur côté, les pays émergents
prennent les mauvaises habitudes de leurs aînés : près de 30 % supplémentaires
pour la Chine et l'Inde, de 1990 à 1995, + 20 % pour le Brésil, + 40 % pour
l'Indonésie...
La convergence de plus en plus serrée des indices de dérèglement
climatique - sécheresses, inondations, tempêtes -, la coïncidence entre les
projections informatiques et les données observées, les effets dévastateurs
d'El Niño, l'inquiétude grandissante de l'opinion, vont-ils bousculer la
guerre de position à laquelle se livrent les principales puissances depuis
plusieurs années et débloquer la négociation de Kyoto ?
L'enjeu de la conférence climatique est sans précédent. Les rapports
scientifiques du Groupe intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC),
qui servent de base à cette grande négociation planétaire, ne laissent guère
de place au doute : le réchauffement est une réalité établie, ses causes résident
dans la combustion des énergies fossiles (pétrole et charbon) et dans les
pratiques agricoles intensives. La seule incertitude réside désormais dans
l'amplitude des conséquences dont on sait qu'elles seront plus ou moins négatives,
voire catastrophiques, selon que la communauté internationale parviendra ou non
à inverser la tendance à la hausse des rejets de gaz.
INTÉRÊTS NATIONAUX
Il faut trouver une solution pour maîtriser des gaz qu'on ne peut pas,
techniquement, piéger et constituent le fondement énergétique des économies
modernes. C'est rien moins qu'une option sur le mode de développement du XXIe
siècle qui est en cause.
Exceptés la plupart des groupes pétroliers et charbonniers et les Etats de
l'OPEP, plus personne ne conteste la gravité du défi. Les divergences portent
sur la faisabilité et les moyens à mettre en oeuvre. Pour l'instant, le jeu
des intérêts nationaux a figé les positions, dessinant une carte des
alliances et des rapports de force inédite. Les Etats-Unis n'envisagent qu'une
stabilisation des émissions autour de 2010 au niveau de 1990 et s'opposent
ouvertement à l'Union européenne qui propose une réduction de 15 %. Soutenue
par les milieux industriels internationaux (lire ci-dessous), l'Amérique
souhaite faire appel au marché en introduisant un système d'échange comme les
" permis négociables ", la pollution devenant une matière première
librement négociable, comme le blé à la Bourse de Chicago ou les métaux à
celle de Londres. Les Européens, appuyés, eux, par les réseaux d'ONG (lire
ci-dessous), se refusent à entrer dans cette logique si elle n'est pas "
encadrée " par des objectifs de réduction contraignants et une
institution de régulation.
Derrière les Etats-Unis se retrouve en bloc le monde anglo-saxon, Canada,
Nouvelle-Zélande et Australie, à l'exception du Royaume-Uni de Tony Blair qui,
avec la France et l'Allemagne, est un des partisans les plus combatifs de la réduction.
Mais l'ensemble des pays d'Amérique latine, sauf l'Argentine, appuient la
position européenne de même que tous les pays du Sud, Chine en tête. Il faut
dire que l'Union européenne, contrairement aux Etats-Unis, veut exempter, dans
un premier temps, les pays du Sud d'un objectif de réduction afin de ne pas pénaliser
leur développement. Les petites îles-Etats, malgré leur dépendance, pour la
plupart, vis-à-vis des Etats-Unis ou de l'Australie, se sont elles aussi rangées
du côté européen, plaidant même pour une réduction de 20 %.
Reste le Japon, qui aimerait que la première grande négociation
internationale qui se déroule sur son territoire se conclue par un succès. II
propose une solution intermédiaire - réduction de 5 % et intégration des
instruments économiques de marché - qui pourrait constituer la base d'un
compromis que toutes les délégations affirment rechercher.
L'envers du " miracle asiatique "
La facture écologique que présente aujourd'hui le " miracle asiatique
", tant encensé jusqu'à ces derniers mois, confine au désastre. L'Asie
est la région la plus polluée du monde, comme le rappelle une synthèse de
chiffres publiée, samedi 29 novembre, par le New York Times. Selon un étude
des Nations unies, l'Asie concentre treize des quinze villes dont la pollution
de l'air est la plus élevée. A en croire l'Organisation mondiale de la santé
(OMS) et la Banque mondiale, 1,56 million d'Asiatiques meurent chaque année des
effets de la seule pollution de l'air. Les chiffres en Chine sont particulièrement
alarmants ( Le Monde du 27 septembre). L'OMS estime que les taux de dioxyde de
soufre dans les grandes villes de l'empire du Milieu sont entre deux et cinq
fois supérieurs aux normes fixées par l'organisation.
Le Japon aspire à jouer les médiateurs
Philippe Pons
La conférence internationale sur le climat, qui s'ouvre le 1er décembre à
Kyoto, sera un test de l'ambition du Japon de devenir une grande puissance
civile. Le poids économique de l'archipel dans le monde contraste avec le
profil bas de Tokyo en matière de sécurité et de stratégie. Les contraintes
constitutionnelles et son alliance avec les Etats-Unis, pierre angulaire de sa
diplomatie, ne laissent guère de marges de manoeuvre au Japon. En matière
d'aide au développement et de protection de l'environnement, il en a davantage
et voudrait faire de ces questions les axes d'une diplomatie lui assurant un
plus grand crédit politique sur la scène mondiale et renforçant ses chances
d'obtenir un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies.
Le succès de la conférence de Kyoto est pourtant loin d'être acquis étant
donné les divergences des positions entre Américains, Européens et Japonais
sur les taux de réduction d'émissions des gaz à l'origine de l'effet de serre
responsable du réchauffement préoccupant de la planète. " Si Tokyo avait
été conscient des difficultés et des répercussions mondiales de cette conférence,
je pense que le gouvernement aurait hésité à proposer d'accueillir cette
troisième conférence sur les climats ", reconnaît un haut fonctionnaire.
" Mais aujourd'hui, nous n'avons pas d'autre choix que de réussir. Si
Kyoto se conclut sur un engagement chiffré de réduction des émissions de gaz
assorti d'obligations précises, nous considérerons que ce sera un succès
politique ", poursuit-il.
Selon le directeur de l'Agence pour l'environnement, Hiroshi Oki, qui
assumera la présidence de la conférence de Kyoto, le Japon ne considère pas
que la proposition américaine de " réduction zéro " (maintien des
émissions jusqu'en 2012 à leur niveau de 1990) puisse servir de base de négociation.
" Nous devons parvenir à un objectif de réduction contraignant ",
a-t-il déclaré. M. Oki estime que certains Etats européens sont prêts à
faire preuve de flexibilité au sujet du taux de réduction (15 % d'ici 2010)
retenu par l'Union européenne. Les Japonais ont une position médiane (réduction
de 5 % d'ici 2012).
Indépendamment d'un engagement chiffré et contraignant auquel ils tiennent,
les Japonais entendent élargir le débat en débloquant la question de la
participation des pays du Sud à ce cycle de négociations sur les remèdes au réchauffement
de la planète. Les Américains souhaitent inclure les plus avancés d'entre eux
(Chine, Brésil, Mexique) afin qu'ils soient aussi contraints à certains
efforts mais ceux-ci se retranchent derrière les engagements de la première
conférence sur le climat de Berlin qui les en dispensent afin de ne pas peser
sur leur développement.
A l'issue du sommet sur la coopération économique en Asie-pacifique (APEC)
qui vient de se tenir à Vancouver, le premier ministre Ryutaro Hashimoto a lancé
une proposition dans ce sens, dont il avait annoncé les principales
orientations dans son discours aux Nations unies en juin. Baptisée "
Initiative de Kyoto ", cette proposition vise à offrir une assistance aux
pays en voie de développement afin de les aider à combattre l'effet de serre
et à mieux utiliser leur énergie. L'assistance nippone consistera en
financements (prêts à 0,75 % d'intérêt sur 40 ans) et en transferts de
" technologies vertes ".
Le Japon s'engage en outre à accueillir pendant cinq ans à partir de 1998
trois mille experts des pays du Sud pour les former à la lutte contre les
pollutions, à la conservation des forêts et aux techniques d'économie d'énergie.
" Le Japon estime qu'il est en position favorable pour jouer un rôle de médiateur
entre les pays avancés et les pays en voie de développement, explique le haut
fonctionnaire. Nous étions dans leur situation il y a trente ou quarante ans.
" Depuis les années 70, sous le double effet des chocs pétroliers et des
grandes affaires de la pollution (drame de Minamata), héritées de la période
de haute croissance de la décennie précédente, le Japon a accompli de
notables progrès en matière de lutte contre la pollution et les émissions de
gaz. Ses aciéries ou ses voitures sont parmi les moins polluantes du monde et
le ciel de Tokyo est un des plus clairs d'Asie. Tokyo estime donc que 5 % de réduction
des émissions de CO (qui revient en réalité, par un mécanisme de différenciation,
à une réduction effective de 2,5 %) est un objectif raisonnable. Il est jugé
largement insuffisant par les écologistes locaux.
En dépit de la stagnation de l'économie et étant donné les progrès déjà
accomplis, le gouvernement est l'objet de pressions moins fortes de la part des
milieux d'affaires que ne l'est son homologue américain. Selon un sondage réalisé
par le quotidien Sankei, 70 % des industriels interrogés déclarent avoir déjà
fixé leurs objectifs de lutte contre le réchauffement de l'atmosphère. Même
si 33 % estiment que l'objectif de réduction de 5 % des émissions est possible
à atteindre, 16 % seulement sont d'ores et déjà à même de le faire. Le
ministère du commerce international et de l'industrie (MITI) et le patronat
s'opposent, en revanche, à l'introduction, proposée par l'agence pour
l'environnement, d'une taxe sur les émissions frappant les combustibles "
fossiles " à l'origine de l'émission de dioxine de carbone.
Il pèse cependant une inconnue sur la possibilité d'atteindre l'objectif
fixé. Celui-ci suppose en effet que le Japon développe sa production d'énergie
de source nucléaire et construise d'ici 2010 une vingtaine de nouveaux réacteurs
qui viendront s'ajouter au cinquante-trois en service. Il est loin d'être
certain que le gouvernement pourra mener à bien une telle politique étant donné
l'opposition de l'opinion publique à l'installation de nouvelles centrales.
Depuis le début de l'ère industrielle, la température a augmenté de
0,5° (1997 sera sans doute l'année la plus chaude jamais enregistrée), le
niveau des océans s'est élevé de 10 à 25 cm. En un siècle, les températures
pourraient augmenter à un rythme 10 à 50 fois plus rapide qu'au cours... des
10.000 dernières années.
La hausse de la température pourrait être de 1 à 3,5° d'ici 2100,
voire de 5° (une différence de 5° en plus ou en moins est comparable aux
situations qui ont provoqué les grands bouleversements climatiques de
l'histoire).
Chaque année, les humains rejettent quelque 7 milliards de tonnes de C02
supplémentaires, lesquelles viennent rejoindre la couvercle de vapeur d'eau et
de gaz à l'origine de l'effet de serre.
En 1996, les USA produisent en moyenne 19,88 tonnes de C02 par habitant et
par an, l'UE dans son ensemble 2,3 tonnes, la France 6,23 tonnes (en 2010, le
secteur des transports devrait représenter à lui seul dans l'hexagone 40 % des
émissions de gaz carbonique).
Premier pollueur: les Etats-Unis, avec 22 % des émissions de CO2 (selon
l'agence américaine de l'énergie, les USA pourraient augmenter ces émissions
de 34 % d'ici 2010). La Chine arrive en second avec 14 %.
Le Japon a émis 8 % de plus de gaz à effet de serre en cinq ans,
"la Chine + 27 % depuis 1990, l'Inde + 28 %, le Brésil + 20 % et l'Indonésie
+ 40 %", constate "Le Monde".
Selon le journal de Pékin "China Daily", qui cite des experts
internationaux, 64 % des émissions de gaz à effet de serre proviennent des
pays industrialisés, alors que ces derniers ne représentent que 25 % de la
population mondiale.
La demande mondiale de pétrole et de charbon pourrait augmenter de 30 %
d'ici 15 ans.
Mon avis sur la question
Je suis d'une nature assez sceptique, et en gros je ne crois qu'à ce que je vois.
Mais en voyant les résultats mondiaux, chaque mois, des températures globales, j'ai tendance à m'inquiéter. En effet, la tendance à la hausse s'est terriblement accrue depuis une vingtaine d'année. 1998 a été l'année la plus chaude, succédant à 1997 qui succédait elle-même à 1995 et ainsi de suite.
On se souvient de l'été 98 comme extrêmement chaud sur les Etats-Unis. La France, malgré un ensoleillement plutôt faible, a connu une vague de chaleur exceptionnelle en août avec 37 à 41° du Bordelais à la Beauce jusqu'à la Bourgogne. Des records sont d'ailleurs tombés en pagaille sur de nombreuses régions.
De plus, le réchauffement climatique semble renforcer les cyclones (on se souvient du monstre "Mitch" en octobre 98 qui a anéanti des pays entiers en Amérique Centrale!), les tempêtes ou encore les tornades qui se multiplient, et ce un peu partout dans le monde.
Les scientifiques ne sont pas tellement d'accord entre eux; certains sont alarmistes tandis que d'autres prennent les données avec prudence, pensant même que le réchauffement de ces dernières années est peut-être un cycle normal dans la climatologie mondiale, comme ce fut le cas lors de la petite ère glaciaire entre 1570 et 1710. Les hivers froids et neigeux s'étaient brusquement multipliés, sans explication vraiment valable encore actuellement. On dit parfois que la planète suit une certaine ellipse qui l'éloigne parfois un peu plus du soleil, d'où un rayonnement un peu moins important...
Une chose semble sûre toutefois: le climat change, comme le stipule le long exposé que vous avez peut-être lu ci-dessus. On en ressent même les effets à l'échelon local. La France a connu une succession d'années trop chaudes surtout depuis 1988. Seules les années 1991, 1993 et 1996 ont été "normales". L'année 1994 détient le record de l'année la plus chaude avec une succession de vagues de chaleur en toutes saisons. Cette année 99 par exemple, les quatre premiers mois offrent généralement un excédent de températures, à quelques exceptions près (les Alpes ont connu un coup de froid en février). Même le mois de février qui nous a apporté un épisode neigeux relativement important jusqu'en plaine s'est révélé trop chaud! Que dire de janvier qui a permis aux températures d'atteindre 15 à 17° sur un grand quart nord-est de la France.
En 1998, seuls deux mois ont été plus frais: juillet et novembre. Tous les autres mois ont été trop chauds ou proches de la normale. Y-a t'il de quoi s'inquiéter?
A mon humble avis, OUI! On ne s'étonne même plus de dépasser 10° en janvier et 20° en mars, tout le monde se plaint du "froid" quand les températures sont normales, les vagues de chaleur se succèdent en toutes saisons, et même les grands courants de nord ou nord-ouest ne parviennent pas à vraiment faire chuter les températures. Ca va mal!
Si l'année 1998 a battu tous les records mondiaux, 1999 reste parmi les années les plus chaudes même si aucun record mensuel n'est tombé pour le moment. Dans le détail, janvier a été le cinquième plus chaud après 98, 88, 83 et 95; février 99 arrive en troisième position après 98 et 95; 4 mois de mars ont été plus chauds que celui de 99: 98, 90, 97 et 95; enfin avril 99 arrive en quatrième position après 98, 91 et 90.
En avril, la température moyenne mondiale a dépassé la normale de 0,44°C, cela paraît peu mais c'est considérable. Fort heureusement, le phénomène El Niño a laissé sa place à La Niña, ce qui modifie beaucoup le climat mondial. En effet, El Niño a tendance à renforcer la hausse générale de la température globale. Malgré La Niña, nous restons au-dessus de la normale, mais elle nous offre un peu de répit. Généralement, les précipitations ont dépassé les normales. On le sait, plis l'air est chaud et plus il contient de vapeur d'eau. Quelques régions du monde ont tout de même connu un temps plus frais que la normale: l'ouest des Etats-Unis, l'ensemble de l'Amérique du Sud, l'Afrique Centrale, l'Australie ou encore quelques petites portions de l'Asie. Partout ailleurs, y compris chez nous, il a fait trop chaud...
Mais maintenant il est trop tard pour faire machine-arrière. Les états ont pris des mesures trop tardivement, et certains gaz émis il y a dix ans n'ont même pas encore atteint les hautes couches de l'atmosphère!
En bref, nous avons de chauds étés devant nous. Chez nous, l'augmentation de la température devrait toutefois se traduire par une hausse de l'humidité, d'où une baisse de l'ensoleillement et du rayonnement, donc la hausse des températures sera un peu compensée par les nuages plus nombreux. Mais cela ne suffira sans doute pas!...
14 juin 2000 : Les Etats-Unis pourraient changer de visage au 21ème siècle
Le réchauffement de la planète risque de provoquer des bouleversements climatiques aux Etats-Unis qui changeront le visage du pays, provoquant inondations, sécheresses ou disparition de certains écosystèmes. "L'augmentation constante des émissions (de gaz de serre dans le monde) accroîtra vraisemblablement la température moyenne aux Etats-Unis de 3 à 6 degrés Celsius d'ici à l'an 2100", indique un rapport officiel publié lundi à Washington.
Cette hausse, à son tour, aura de profondes conséquences sur les écosystèmes et même sur la vie de certaines populations résidant dans des zones plus sensibles. "Des précipitations importantes, et même extraordinaires, seront sans doute plus fréquentes", avec des risques de brusques inondations, soulignent les auteurs de l'étude sur "l'impact du changement de climat aux Etats-Unis", préparée pour la Maison Blanche et le Congrès. "Toutefois, certaines régions deviendront plus sèches", notent-ils également.
Aussi, certains paysages du pays se transformeront. Les montagnes Rocheuses perdront sans doute les "prairies alpines" qui font une partie de leur charme tandis que les forêts du nord-est verront la disparition de plusieurs espèces d'arbres comme les érables à sucre.
"Certaines îles côtières disparaîtront sans doute totalement" et des zones actuellement cultivées seront recouvertes par les eaux, déclare encore le rapport. La hausse du niveau des eaux serait également une menace pour les bâtiments, routes et autres infrastructures des régions littorales.
"L'inquiétude est grande pour les eaux", soulignent encore les spécialistes, qui précisent aussi que certaines régions seront touchées par la sécheresse, d'autres par le manque de neige, les troisièmes par trop de précipitations. Ainsi, "les changements concernant les pluies et la neige pourraient affecter les fournitures en eau potable".
Les conséquences économiques pourraient également être notables, poursuivent les auteurs du rapport. "La productivité des récoltes pourrait augmenter sur le plan national", ce qui réduirait par exemple les prix pour le consommateur et "mettrait la pression sur les agriculteurs".
"Notre travail indique clairement que le changement de climat est un sujet sérieux pour les Etats-Unis", a souligné dans un communiqué l'un des responsables de cette étude, Anthony Anetos, du World Resources Institute. Le président Bill Clinton a de son côté exhorté le Congrès à s'attaquer sérieusement au problème de l'effet de serre, rappelant que les Etats-Unis "sont actuellement le plus important producteur de gaz de serre dans le monde" et que "la croissance économique peut aller de pair avec la réduction de l'effet de serre".
Le rapport publié lundi a été immédiatement critiqué par plusieurs organisations qui notent son côté alarmiste et, selon elles, non scientifique. Ainsi, l'Institut pour une entreprise compétitive (CEI), qui défend la libre entreprise et est contre toute limitation liée à l'environnement, s'est insurgé dans un communiqué contre ce qu'il considère comme un "gâchis politique de milliards de dollars des contribuables". Pour lui, il s'agit d'un "document scientifiquement malhonnête et alarmiste fondé sur de la science de pacotille".
Les auteurs du rapport eux-mêmes restent d'ailleurs prudents, soulignant que "des incertitudes importantes existent toujours quant aux moyens scientifiques d'examiner l'impact des changements de climat".
13 juin 2000 : Lefficacité douteuse des forêts contre leffet de serre
En reboisant, les pays industrialisés espèrent lutter contre les gaz à effet de serre sans avoir à réduire leurs émissions polluantes. Un pari risqué, selon un rapport déposé par un groupe de 3 000 chercheurs.
À première vue, planter des arbres pour absorber le gaz carbonique et réduire leffet de serre peut sembler une bonne idée. Mais dans les faits, cette stratégie est si difficile à appliquer quà terme, ces forêts pourraient bien navoir aucun effet sur le réchauffement de la planète. Elles pourraient même y contribuer. Et si lon se fie à un rapport déposé dans les cadre des négociations internationales qui se déroulent actuellement à Bonn, elle pourrait aussi donner un prétexte aux pays développés pour ne pas avoir à réduire leurs émissions polluantes.
Laccord de Kyoto, signé en 1997, ordonne à 38 pays de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre de 5,2% par rapport aux niveaux de 1990. Ces objectif, qui doit être atteint dici 2010, représente léquivalent de 887 millions de tonnes de gaz carbonique. Le traité prévoit que les États peuvent atteindre leurs objectifs en plantant des forêts, qui absorbent ce gaz, plutôt quen réduisant leurs émissions polluantes. Dautres activités humaines ayant un effet sur lenvironnement peuvent aussi être prises en compte.
Et cest là que le bât blesse, selon le rapport déposé par le Groupe intergouvernemental sur lévolution du climat, réunissant 3 000 chercheurs. À partir de quelle densité darbres une savane devient-elle une forêt? Les arbres rejettent le gaz carbonique après leur mort : une coupe de bois doit-elle être considérée comme du déboisement? Les feux de forêt doivent-ils être comptabilisés comme des activités humaines? Selon le meilleur scénario, les forêts pourraient absorber jusquà 483 tonnes de carbone dici 2010. Dans le pire des cas, elles pourraient au contraire en rejeter 849 millions.
Par ailleurs, si lon retient une définition très large des « autres activités humaines », la mise en friche de terres agricoles, par exemple, les pays développés pourraient aller immobiliser un supplément de 297 millions de tonnes de carbone. Si lhypothèse forestière « optimiste » de 483 millions de tonnes est retenue au terme des négociations, on pourrait donc atteindre 88% des objectifs de réduction des gaz à effet de serre sans avoir à réduire les émissions polluantes. Selon les chercheurs, cette comptabilité douteuse revient à dire que les pays industrialisés échapperaient à leurs engagements de Kyoto.
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